« Un homme noble partit pour un pays lointain afin d’y obtenir un royaume et il revint ensuite. » (Luc.XIX.12)
« Le Rien est le mot de reconnaissance des Nobles Voyageurs. C’est l’entrée et la sortie du labyrinthe. » (O.V. de L.Milosz. Les Arcanes.)
« Jésus a dit : Soyez passants. » (Evangile de Thomas. Log 42)
Voyage au Centre.
« Lorsque je prêche, je parle souvent du détachement et je dis qu’un homme doit être vide de soi et de toutes choses. » (Maître Eckhart)
Pèlerin trouve son étymologie dans le Latin peregrinus, qui a pour signification voyageur. Etre en voyage, être aussi un étranger en des terres inconnues, c’est bien un état de recherche, ou d’ « errance », en tant qu’état passager. Il est naturel pour l’homme de conduire sa vie comme un pèlerinage, particulièrement lorsqu’il est orienté vers un but. Comme voyage, le pèlerinage a un rôle initiatique et symbolique. Voyage de la recherche de soi, quête qui est une remise en question. Le moment où l’homme va pouvoir aller vers son authenticité. Et cet « objet » recherché dans une telle quête est toujours l’évocation du Bien spirituel. Voyage intérieur qui conduit l’être vers le Coeur-Centre, où réside le Principe Suprême. La vie est aussi, pour chaque être comme une sorte de voyage où il est alors « passant ».
« Nous sommes tous passants et pèlerins. Allumons donc un feu au carrefour, à l’adresse de l’Eternel. » (Lanza del Vasto)
Dans son « errance » douloureuse il doit alors trouver le chemin du Retour. Chemin qui doit le conduire vers sa patrie Céleste. Fils du ciel, et « Noble Voyageur, » il peut alors achever son parcours terrestre.
Ce sont des « ténèbres extérieures » auxquelles s’appliquent cet état d' »errance », dont le parcours du labyrinthe et du maṇḍala sont une expression symbolique. Et la finalité du pèlerinage terrestre, symbolise ce vrai pèlerinage. Car la destination du « Noble Voyageur », du pèlerin de la Providence a cette finalité spirituelle. Ce qui est le cas dans toutes les formes traditionnelles. Le « voyage au centre », est le voyage intérieur à la recherche du Soi. Où le Soi ne possède aucune identification possible, que ce soit le corps ou le mental. Seul le Soi Divin, ou Coeur. C’est là en ce « fond », ou « Château intérieur », ou « Le Royaume de Dieu en nous, » que réside l’Essence humaine.
Le pèlerinage est alors ce cheminement vers un « lieu » sacré. Dans sa pratique le pèlerinage est donc l’aspect extérieur nécessaire. Le but suprême d’une telle orientation pratique est toujours un rite suprême, vers le Centre divin. Pour les Chrétiens il s’agit de la Jérusalem Céleste. Ce « voyage » est donc une orientation de l’âme vers Dieu. Le chemin du pèlerin, comme celui de Compostelle au Moyen Âge est jalonné de diverses églises et sanctuaires. Et, ces chemins de Compostelle sont construits à partir d’une véritable géographie sacrée. Compostelle avec son sens véritable de « Voie Lactée », de chemin des étoiles. Cheminement terrestre qui est ce voyage céleste qu’accomplit le « Noble Voyageur »
« Proclame à l’humanité le pèlerinage » (Qur’ân.XXII.27)
Chemin du pèlerin et Voie. Le terme Tao est le plus souvent rendu par celui de « Voie », comme dans le Bouddhisme mahā-yāna, qui est la « Grande Voie », et dans l’Hindouisme où il s’agit de deva-yāna, qui est la Voie des Dieux. Dans le Christianisme, le Christ annonce : « Je suis la Voie. » Dans le Judaïsme, Moïse conduit les Israéliens hors de l’Egypte et montre le chemin de la Terre Sainte. De même dans l’Islam le Prophète conduit le chemin vers la Mecque. Donc, pour la Tradition, toutes ces « Voies » ( Chemins) se rejoignent dans l’Axis Mundi, qui unit les différents états de l’Etre vers la Source incréée. Il s’agit bien d’une telle « Voie » dans toutes les formes de pèlerinages. Ces chemins qui vont à Jérusalem, la Mecque, Bénarès, ou bien une quête, comme celles du Saint Graal, du Paradis Terrestre, de la Jérusalem Céleste. En son sens le plus profond, le pèlerinage est alors ce Retournement à partir de l’agitation de la multiplicité du monde, vers la paix et la béatitude du Centre Divin. Si ces « Nobles Voyageurs » sont souvent des initiés, leurs voyages s’effectuent dans la profondeur de l’immobilité intérieure de la méditation. Aussi, ce voyageur céleste s’ouvre à un espace sans limites, où il parvient à répandre son amour à tous les êtres. Voyage intérieur atemporel et non spatial. Trop souvent il sont perçus comme des étrangers en ce monde limité idéologiquement et géographiquement. C’est cette passion pour l’Indéfini qui les exclue de toutes les formes de limitations. En leurs chemins ils quittent les pauvres chemins du rationalisme et du matérialisme. Ils vont toujours de l’avant, ce cheminement dans sa lenteur devient une nécessité. Lorsqu’un être prend fermement la résolution de cheminer spirituellement, aucun retour n’est plus possible. Et, ce noble voyageur ne laisse aucune trace matérielle, il sait continuer an sa solitude salvatrice.
« Un bon voyageur ne laisse pas de traces. » (Tao Te Ching. XXVII)
Son point de départ n’a plus d’importance, il oublie sereinement la distance accomplie. Les distances spatio-temporelles n’ont plus de sens pour ce pèlerin. Sans passé, ni futur, dans cette Présence il va de l’avant. Un abandon à la Volonté Divine est son seul guide. Même s’il ignore où il va, l’imprévu est toujours sûr d’arriver, alors que ce qui est prévu peut ne pas arriver.
« L’Esprit est le lieu du pèlerinage où les devas , vedas, et tous les autres intermédiaires deviennent Un. Un bain en ce lieu de pèlerinage fait devenir immortel. » (Śaṅkara)
Celui qui fait le pèlerinage de son propre Soi, fait un pèlerinage qui ne s’occupe plus des situations, du lieu et du temps. Il est alors partout, vers cette félicité, vers la délivrance finale des illusions. Sans action personnelle, il connaît toutes choses.
« …l’entrée et la sortie du labyrinthe, » c’est donc bien la naissance et la mort. Ce qui apparaît dans ce symbole du labyrinthe c’est aussi la complexité d’un enchevêtrement. Si l’on considère tous les cercles, ces replis superposés, on peut y voir également le modèle de la toile d’araignée. Qui est aussi tissage et broderie.
« Nous avons parlé longuement de « dédales et de labyrinthes » afin de montrer que c’est leur tradition qui survit réellement dans les « Noeuds » de Léonard de Vinci et de Dürer. Où les noms de Léonard et de Dürer se trouvent au centre, et à Amiens, le centre du labyrinthe est occupé par une effigie de la cathédrale (…) De toute façon la filiation et l’analogie des noeuds et des labyrinthes est clairement identifiée par la position centrale des images et des noms. (…) La signification du « puzzle décoratif » de Léonard (qui d’un point de vue Oriental doit être nommé maṇḍala) doit être réalisé, s’il est regardé comme une projection plane de constructions sur laquelle nous regardons du bas vers le haut. » (A.K.Coomaraswamy. in The Iconography of Dürer’s Knots)
Les sources Indiennes pour le symbolisme du tissage et de la broderie se retrouvent dans le « fil de l’Esprit » (sūtrātman)
« Tout cet univers est enfilé sur Moi, comme des rangées de perles sur un fil. » (Bhagavadgītā)
Nous savons que dans toutes les traditions, le fil est la manifestation, et l’araignée cosmique est l’Artisan Suprême. Dans le labyrinthe, la symbolique du fil est bien celle d’une complication de la trame. Lieu de perdition, où il est difficile de retrouver son « chemin », dans tous ces recoins et « noeuds ». Sans équivoque on peut donc penser que ce sont symboliquement les noeuds de la vie terrestre, cette vie avec ses vicissitudes. L’exemple des labyrinthes posés sur les dalles des cathédrales du Moyen -Âge, sont les symboles des vicissitudes que doit traverser le pèlerin de la Providence. Qui par une véritable analogie est le voyage vers la Terre Sainte. Voyage indispensable pour retrouver le salut de son âme.
« (…) l’être qui parcourt le labyrinthe ou toute autre figure équivalente arrive finalement à trouver le « lieu central », c’est-à-dire au point de vue de la Réalisation initiatique, son propre centre, le parcours lui-même avec toutes ses complications, est évidemment une représentation de la multiplicité des états et ou des modalités de l’existence manifestée, à travers la série indéfinie desquels l’être a du « errer » tout d’abord, avant de pouvoir s’établir dans ce centre. » (René Guénon. Encadrements et labyrinthes.)
On pourrait conclure en disant que c’est par un effort constant de con-centration sur lui-même (une connaissance de soi) que ce pèlerin de la Providence peut faire cette percée vers le Coeur. La visée de ces figures symboliques ( labyrinthe, maṇḍala ), figures abstraites, géométriques, consiste à « montrer » au pèlerin la Voie et le « point central ». Où le symbole du Coeur-Centre est primordial. Ces figures étant également un support contemplatif.
Très beau texte, merci.