Métaphysique du Silence

Vers une Métaphysique du Silence.

«  Le silence est le langage des anges, l’éloquence du Ciel et l’art de persuader Dieu.  »

(Jean Chrysostome)

«  Le Silence rapporté au Principe, est, pourrait-on dire, le Verbe non proféré.  » (R. Guénon. Mélanges. Ch V. Silence et solitude.)

 » Il convient encore mieux pour nous de garder le silence sur Celui qui est l’origine de toutes choses  » (Maître Eckhart. Sermon 36a)

«  Le Silence veut dire éloquence  » (Ramana Maharshi. Talks.)

Comment aborder une Métaphysique du silence est l’objet de cet article. Il faudra partir de l’approche Traditionaliste, pour ensuite évoquer en cette optique, quelques lignes concernant les voies spirituelles de la Réalisation, aboutissement de la Métaphysique pure. Aussi bien en Occident qu’en Orient.

C’est bien évidemment avec René Guénon que doit donc s’ouvrir une telle approche.

«  Comme le Non-Etre, ou le non-manifesté, comprend ou enveloppe l’Etre, ou le principe de la manifestation, le silence comporte en lui-même le principe de la parole ; en d’autres termes de même que l’Unité (l’Etre) n’est que le zéro métaphysique (le Non-Etre) affirmé, la parole n’est que le silence exprimé ; mais inversement, le Zéro métaphysique, tout en étant l’Unité non-affirmée, est aussi quelque chose de plus (et même infiniment plus), et de même le silence, qui en est un aspect au sens où nous venons de préciser, n’est pas seulement la parole non-exprimée, car il faut y laisser subsister en outre ce qui est inexprimable, c’est à dire non susceptible de manifestation (car qui dit expression dit manifestation, et même manifestation formelle), donc de détermination en mode distinctif.  » (R.Guénon. Les états multiples de l’être. p 29)

Une telle ouverture Métaphysique du Silence, par R Guénon, implique quelques analyses.

Tout d’abord voir en quoi dans la Métaphysique pure de la Tradition, la notion de Non-Etre s’origine.

Le Non-être, est pour cette Métaphysique un dépassement de toute ontologie philosophique, car comme l’affirme souvent Guénon, si l’on fait abstraction du Non-Etre on s’éloigne de tout ce qui est purement Métaphysique. On voit bien que toute la philosophie Occidentale s’est uniquement orientée sur le domaine de l’Etre. La Métaphysique a donc pour but d’aller au-delà de cette réduction à une théorie de l’essence comme Etre.

En cela, il est intéressant de voir que les penseurs traditionalistes : Guénon, Coomaraswamy et Schuon vont s’appuyer sur la Métaphysique hindoue, qui s’étend à un nirguõa brahman, au-delà de toutes attributions, ou qualifications. Ce Brahman Suprême qui est Infini, Illimité et Inexprimable. (Voir R.Guénon. L’homme et son devenir selon de Vedànta.)

Ceci, pour expliquer que l’Etre est relatif au Principe d’une manifestation informelle, qui relève de la non manifestation (avyakta). Pour la Métaphysique, même si l’on évoque un « Etre pur qui est au-delà de toute manifestation, celui-ci va toutefois impliquer une « forme » de détermination, qui même si on la pose en tant que principe est encore une limitation.

Guénon ne cesse d’affirmer que l’être même s’il se détermine, est encore et toujours un être déterminé, d’où cette limitation. Et, ce qui implique que l’Etre ne peut être le Principe Infini, le Principe Suprême. Toute forme de manifestation implique une distinction, une séparation. Mais au-delà de l’Etre on ne peut plus parler de séparation, car on est au-delà de la multiplicité. Ce qui est important pour une Métaphysique pure, c’est toujours cet au-delà même de l’Unité : « On est au-delà de la multiplicité, mais aussi au-delà de l’Unité, dans l’absolue transcendance de cet état suprême, aucun de ces termes ne peut plus s’appliquer, même par transposition analogique, et c’est pourquoi l’on doit avoir recours a un terme de forme négative, celui de « non-dualité ». (Guénon. L’homme et son devenir selon le Vedànta. pp185,186)

Raison pour laquelle la Métaphysique Traditionnelle se réfère aux doctrines « philosophiques » de l’Antiquité et de la Scolastique pour l’Occident, et aux doctrines Hindoues, Bouddhiques, Taoïstes et celles de l’Islam, ainsi que de la Gnose. Car les points de vue de la philosophie moderne s’opposent à cette Métaphysique. Celle-ci ne pouvant aller au-delà de cette ontologie préfère rejeter totalement la perspective d’une Métaphysique éternelle, d’une « sophia perennis  » (F.Schuon)

On ne peut parvenir au Principe Primordial, qui s’origine en cet au-delà de l’Etre, les métaphysiciens de la « philosophia perennis » vont œuvrer à travers la « via negationis »: « Pour désigner ce qui est en dehors et au-delà de l’Etre, nous sommes obligés, à défaut de tout autre terme de l’appeler Non-Etre » ( Guénon. Les états multiples de l’Etre. Ch III. p 25)

Il faut aussi à ce stade penser le Non-Etre, non pas comme un «  néant » comme on pourrait avoir tendance à le faire. Ce Non-Etre est plus proche d’une non-existence ( asat en Sanskrit). Il ne faut pas non plus en faire un Absolu. Si l’on oppose le Non-Etre à l’Etre, et si l’on tente de les différencier, on retombe dans une forme, et une limitation. Ce que démontre Coomaraswamy dans sa Nouvelle approche des Vedas.

On peut donc apprécier la potentialité de ce Non-Etre qui pose toutes les possibilités d’une manifestation (vyakta), mais également des possibilités qui ne sont pas encore manifestées.

Ce que représente le Non-Etre en Métaphysique doit être envisagé avec précaution. Le Silence ( et le Vide) peut donc servir d’approche de ce domaine de la non-manifestation. Le Silence venant servir pour une tentative de non-manifestation du Non-Etre.

D’où la portée du Silence qui occupe une place prédominante dans toutes les voies spirituelles, Occidentales ou Orientales. Il suffit à ce propos de citer les textes des Ecritures védiques que Coomaraswamy a relevé, ou bien encore les sages contemporains indien; Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharaj. La mystique chrétienne allemande avec Maître Eckhart, Suso, Tauler ou Angelus Silesius, afin de voir la portée universelle d’une telle approche.

Alors, il est permis de penser que seul le Silence intérieur peut permettre une relation à la transcendance.

De cet « Inexprimable » Guénon nous dit : « Tout ce qu’on peut exprimer n’est littéralement rien au regard de ce qui dépasse toute expression, comme le fini, quel que soit sa grandeur, et nul vis-à-vis de l’Infini. »

Alors, les mots, les symboles ne peuvent être que des supports. Pour cette Métaphysique tout ce qu’on peut dire de cet Inexprimable, ne peut se faire que par la « voie negationis » si cher à Denys l’Aréopagite, ou le « na iti, na iti) des Ecritures métaphysiques indiennes.

Pour Guénon, cet Inexprimable renvoie aux Mystères, dans le sens du Magnum Mysterum de Boehme. Ce Mystère que l’on ne peut contempler (contemplation) qu’en Silence, car sur celui-ci aucune parole ne peut être formulée. En ce sens le Mystère est un ineffable, un incommunicable.

«  (…) le mystère est proprement l’inexprimable, qu’on ne peut que contempler en silence (et il convient de se rappeler ici de ce que nous disions de l’origine du mot «  contemplation  ») et comme l’inexprimable et en même temps et par là l’incommunicable, l’interdiction de révéler l’enseignement symbolise, à ce point de vue, l’impossibilité d’exprimer par des paroles le véritable mystère, dont cet enseignement n’est pour ainsi dire que le vêtement, le manifestant et le voilant tout ensemble.  » (Guénon. Mythes, Mystères et Symboles. Ch XVII dans Aperçus sur l’initiation.)

«  Le mot grec MUTHOS, «  mythe  », vient de la racine MU, et celle-ci (qui se trouve dans le latin «  mutus  », muet, représente la bouche fermée et par suite le silence (note : Le «  mutus liber  » des Hermétistes est littéralement le «  livre muet  », c’est-à-dire sans commentaire verbal, mais c’est aussi le livre des symboles, en tant que le symbolisme peut être véritablement regardé comme le «  langage du silence ») ( Guénon. Mythes, Mystères et Symboles. Ch XVII dans Aperçus sur l’initiation.)

«  (…) cette idée de « silence » doit être rapportée ici aux choses qui, en raison de leur nature même sont inexprimables, tout au moins directement et par le langage ordinaire; une des fonctions du symbolisme est effectivement de suggérer l’inexprimable, et de le faire pressentir, ou mieux « assentir ». ) ( Guénon. Mythes, Mystères et Symboles. Ch XVII dans Aperçus sur l’initiation.)

On peut affirmer que lorsque le « Grand Mystère » est vécu hors discours, sans aucune parole, donc sans l’intermédiaire d’un discours qui vient le limiter, il s’agit d’une immédiateté de la relation. Peut être on peut évoquer une Présence, une contemplation intérieure qui seule peut nous plonger au cœur de notre véritable nature, en ce Cœur inexprimable.

Ce silence intérieur occupe la place centrale de la voie spirituelle.

Et, ce « Grand Mystère » qu’évoque Guénon du point de vue de la Métaphysique traditionnelle est ; « un état de la non manifestation, est par là comme la participation ou une conformité à la nature du Principe Suprême. » (Guénon. Mélanges Ch V)

Donc, ce Silence est pour Guénon identique au Principe en tant que Non-Etre.

Coomaraswamy expose une doctrine du « silence » védique à partir de l’Identité Suprême (tadekam) qui n’est pas seulement sans dualité (advaita). Sachant que lorsque cette Identité Suprême est exposée dans la manifestation, dans le multiple, elle est l’identité de nombreuses choses. Elle va donc insérer, à partir de son indétermination, de son unité, en son infinité, la totalité de ce qui peut être représenté par les notions d’Infini et de fini. Où c’est le fini qui est toujours inclus dans l’Infini, ce lien existant entre Unité et multiplicité. Un fini indépendant ne serait lui-même qu’une limitation de l’Infini.

L’Identité Suprême est inévitablement représentée dans la pensée sous deux aspects :

« (nuit et aube) d’aspects variés, naissances réitérées, mais toujours jeunes, ont traversées en leur révolutions alternatives, à partir d’une période lointaine, terre et ciel, nuit avec son obscurité, et aurore avec ses membres lumineux. » (ègveda. I.62.8).

Cet Un est en même temps Non-Etre et Etre (sadasat), où comme le dit la Chaõóogya Upaniùad «  le Non-Etre étant vraiment avant toute création.

Cette conception se retrouve dans les termes d’expression et de silence :

«  Si, Ô oiseau, vous exprimez votre bonheur tout haut assis en silence (tåùõãm), amenez vers nous de bonnes pensées  » (ègveda.II.43.3). Ou encore « Au-delà de ce qui est entendu, il y a un autre son. » (ègveda.X.27.21) ; « Derrière le Ciel là-haut les Dieux ont une incantation sans effet externe. » (ègveda.I.164.10) et dans Jaiminãya Upaniùad Bràhmaõa III.7-9 où l’initié (dãkùitaþ) est regardé comme celui qui est mort au monde, et dit énoncer un mot « non humain » ou « brahma dictum » (brahmavàdyam). Rien, mais l’écho du Mot véritable, qui ne peut être entendu, et compris par les oreilles humaines.

L’approche Métaphysique des rites védiques, par Coomaraswamy, expose le fait que les rites peuvent être exécutés avec des formules énoncées ou dans le silence. Donc des éloges qui sont soient prononcées soit en silence.

La prémisse posée par Coomaraswamy concernant le Sacrifice étant que le but du Sacrifice Védique (yaj¤a) est une ré-intégration de la divinité conçue comme passée et qui a été désintégrée par l’acte de création. De même pour le sacrifiant, dont la personne en son aspect individuel est incomplète. Cette ré-intégration se fait par le biais d’une initiation (dãkùa), où le sacrifiant s’identifie au Sacrifice, et ainsi avec la divinité (qui représente le Sacrifice primordial de soi).

Il y a certains actes accompagnés vocalement et d’autres dans le silence. La préparation de l’autel du feu védique où certaines libations se font en silence et d’autres par des formules sacrées prononcées.

«  En silence( tåùõim), ainsi ce qui est en silence est non-prononcé (aniruktam), est ce qui est non-prononcé est toutes choses (sarvam)…Ce Agni (le Feu) est Prajàpati, et Prajàpati est les deux: prononcé et non-prononcé, lié et non-lié. Maintenant tout ce qu’il fait par une formule parlée, ainsi il intègre cette forme de ce qui est prononcé et lié; et ce qu’il fait en silence, ainsi il intègre cette forme de ce qui est non-prononcé en non-lié. Véritablement, quiconque a la compréhension, par conséquent, fait ainsi, intègre toute la totalité de Prajàpati; le « ab extra » des formes est affirmé, le « ab intra » des formes est non-prononcé. » (øB VII.2.2.13-14)

Dans øatapañha BràhmaõaVI.4.1-6 une autre interprétation de l’exécution du rite dans le silence : « Il étend la peau noire de l’antilope en silence, ainsi c’est le Sacrifice, le Sacrifice est Prajàpati, et Prajàpati n’est pas prononcé. ». De même, il peut y avoir une récitation comme « louange silencieuse » ou comme « murmure du silence ».

Il y a également une certaine correspondance entre des mots qui sont parlés à une divinité extérieure, et le silence concernant la forme intérieure d’une divinité.

Dans la Bçhadàraõyaka Upaniùad III.6, à la fin du dialogue sur Brahman le questionneur (toujours lui) est amené à ce point de non retour où le Brahman est: « une divinité à propos de laquelle aucune autre question ne peut être posée. ». Le questionneur, avec ce silence, atteint la paix. Ce qui est en accord avec la « via remotionis », où il est dit que Brahman ( la « Déité » de Maître Eckhart ) n’est « ni ceci ni cela » (na iti, na iti) . Voir également le commentaire de øaïkara sur le vedàntasåtra III.2.17, lorsque Bàhva questionné sur le Brahman demeure silencieux (tåùõim): « Je vous l’ai vraiment dit, mais vous ne comprenez pas; ce Brahman est silence.  »

De même le Buddha ne peut dire le nirvaõa (avadyam)

Kçùõa dans la Bhagavadgãtà X.38 : « Je suis encore le silence aux secrets et le savoir au savants » ( maunaü caivàsmi gçhyànàü j¤ànaü j¤ànavatàmaham).

On peut voir ici que « mauna » correspond au terme bien connu de « muni », « le sage silencieux ». Ce qui ne veut pas dire que Kçùõa ne parle pas, mais que ce qu’Il dit est la manifestation du Silence, et non pas une émotion.

On peut aussi voir que dans la Bçhadàraõyaka Upaniùad III.5, l’Identité Suprême, l’Etat Suprême est Un, et qu’il transcende toute distinction de l’expression à partir de ce fond silencieux: « Sans considération pour l’expression ou le silence (amaunaü ca maunaü niþvidya), alors il est vraiment Brahman ».

Coomaraswamy expose sa doctrine védique du silence afin d’analyser la Nature Divine pour faire ressortir les « correspondances » (ce qui est sa profonde méthodologie) des références védiques et gnostiques du Silence. « Dans les deux traditions les pouvoirs authentiques et intégraux à chaque niveau de références sont des sysygies de principe  conjoints » (A.K.Coomaraswamy) et « En ce qui est réellement, plutôt que plus « orthodoxe », des formes dans la Chrétienté, les deux aspects de la voix, à l’intérieur et à l’extérieur, sont ceux de « cette nature par laquelle le Père a engendré » et « cette nature qui descend à la ressemblance de Dieu, et conserve encore une certaine ressemblance à l’être divin. »  (St Thomas. Sum Theol. I.41.5c), l’éternel et le temporel « theotokoi », respectivement.  » (A.K.Coomaraswamy).

Il faut bien insister sur le fait que, en ce qui concerne le point de vue de la métaphysique, le silence n’a rien à faire avec une simple amélioration de l’individualité, car il s’agit d’une Réalisation de conditions supra-individuelles. Et, la vie contemplative est supérieure à la vie active en elle-même. Donc les formes d’expressions ne sont pas exclues, mais viennent représenter le silence toujours déjà là, et sous-jacent : « C’est juste par le son que l’absence de son est révélée. » (Maitri Upaniùad VI.22) « (…) la fermeture des yeux est nommée dans la religion la « fin du monde », mais en métaphysique est nommée dissimulation, silence, ou déspiration. » (Coomaraswamy Le Vedànta et la Tradition Occidentale.)

Dans la recherche spirituelle de toutes les religions, en tant que formes traditionnelles, la pratique du silence est recommandée. Il suffit pour cela de regarder tous les enseignements spirituels afin de confirmer ceci.

«  L’Esprit Cosmique est l’expérience du Silence et, en elle, il n’y a pas de parole.  » (Nisargadatta Maharaj)

Dakùiõàmårti/øiva

La Vérité n’est pas tributaire du temps ni de l’espace, sa Source est le Non-Etre (asat), la non-manifestation (avyakta) qui est toujours conditionnée. La Vérité est inexprimable.

Dakùinàmårti, par le nirukta, peut être décomposé de deux manières différentes: dakùiõa racine DAKú– « servir, valoir,  » et dakùiõa « tourné vers le Sud », « bienveillant ». avec amårti  » sans forme.

Dakùiõamårti symbolise l’intemporel et le non-lieu, c’est le Principe Primordial informel, inexprimé. C’est donc le Non-Etre qui produit toute manifestation.

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il s’agit de son mode d’enseignement par le silence. Ce qui est l’approche la plus éminente, dans le Vedànta, du nirguõa brahman, ou Non-Etre.

Le mode d’enseignement de Ramana Maharshi, était celui de Dakùiõàmurti :

«  Le «  silence  » est la forme la plus puissante de travail (spirituel). Quelle que soit l’étendue et la puissance des øastra, ils échouent dans leurs efforts. Le guru est tranquille et la Paix prévaut en tout. Le « silence » du guru est plus puissant, plus vaste que tous les øastra réunis (…) Tel est (l’enseignement du) véritable guru. Tel était (celui de) Dakùiõàmårti. Que faisait-il? Il restait silencieux. Les disciples apparaissaient devant lui. Il gardait le « silence », les doutes des disciples finissaient par se volatiliser, autrement dit, ils perdaient le sens de leur individualité. » (Talks)

« (…) le Maître originel et primordial de toute antiquité, Dakùiõàmårti, celui qui a dissipé les doutes de ses disciples èùi par le « silence », a laissé après lui des rejets qui continuent à se multiplier. Le guru est un rejet de Dakùinàmårti. » (Talks)

«  Le silence est le véritable upade÷a (instruction spirituelle). Il ne convient qu’aux seuls chercheurs avancés. Les autres sont incapables d’en tirer une puissante inspiration. C’est pourquoi ils ont besoin des mots qui leur expliquent la Vérité. Mais celle-ci est au-delà des mots. Elle ne se contente d’aucune explication. Tout ce que l’on peut faire, c’est d’indiquer la direction. » (Talks)

Le terme « mauna », que l’on traduit par « silence » désigne littéralement « l’état de muni » (exemple øakyamuni. Voir le silence du Buddha). Le « muni » est celui qui a atteint le plus haut état spirituel.

mauna = nirguõa brahman

«   »mauna »  le « silence » est la « dãkùà » (l’initiation) la meilleure et la plus puissante. C’est celle que donnait Dakùinàmårti. Celle par le regard, par le toucher etc…lui sont inférieures. Le Silence (maunadãkùà) change le cœur de tout homme. » (Talks)  

«  Le silence intérieur est abandon de soi-même, et cela veut dire vivre sans le sens de l’ego  » (Ramana Maharshi)

«  (…) L’état qui transcende langage et pensée est silence (mauna). C’est une méditation sans activité mentale. La subjugation du mental est méditation, et la méditation profonde est un discours éternel. Le silence ne cesse de parler; c’est un flux continu de « langage ». Il est interrompu par les paroles, car les mots font obstacle à ce « langage » muet. Des conférences peuvent absorber les individus pendant des heures sans les améliorer. Le silence, en revanche, est permanent et bienfaisant pour toute l’humanité…Par silence il faut entendre éloquence. Les discours ne sont pas aussi éloquents que le silence. Le silence est une éloquence incessante…C’est le meilleur langage. Il y a un état où les paroles cessent et le silence prévaut.  » (Ramana Maharshi)

«  Ainsi le mot est-il l’arrière-petit-fils de la source originelle. Si le mot peut produire un effet, jugez par vous-même combien plus puissant doit être le prêche par le silence! Mais les gens ne comprennent pas cette vérité simple et toute nue de leur expérience quotidienne, toujours présente, éternelle. Cette vérité est celle du Soi » (Ramana Maharshi)

Découvrir la voie du silence, et s’y fixer, est la démarche de l’homme en quête spirituelle, vers une Libération, qu’il soit d’Occident ou d’Orient. Cette voie qui est la même dans les diverses formes traditionnelles, doit se dé-couvrir en soi-même, en tant que Soi ou Non-Etre. Le Zéro développé dans la Métaphysique de Guénon. Qui se dé-couvre soit en un vide, un rien, ou silence.

Il y a une difficulté à s’entendre sur le terme silence. Le silence n’est pas simplement un mutisme, vivre dans la solitude et ne pas communiquer ou ne pas s’exprimer. Si le silence extérieur est une voie non négligeable, il n’est pas de la même dimension que le silence intérieur, où règne l’absence de pensées, « ce vide abyssal ».

Si l’on fait référence à Guénon, il est permis de voir en quoi le silence est ce mystère de l’Inexprimable Non-Etre, et aussi une re-connaissance de ce Mysterum Magnum. Une telle voie spirituelle est toujours au-delà de l’histoire événementielle conceptuelle.

Voie qui conduit au cœur des choses, et du Tout, à travers la conscience de soi-même. Celle-ci faisant la parfaite jonction entre la voie de la connaissance (j¤àna) et celle de la dévotion (bhakti).

D’où l’importance de l’apophatisme, de la « via negationis », où il est impossible de poser des attributs au Divin. D’où cette amour du silence. La profondeur ( le « fond » au sens Eckhartien) du véritable silence est parfois difficilement compréhensible. Et seul une expérience personnelle peut parvenir à « vérifier », « réaliser » ce qu’il en est dit dans les textes. Parvenir à se dégager de l’extériorité pour s’intérioriser dans ce silence.

Un état de silence pendant lequel il faut éviter toute nomination, sans échange entre les personnes. C’est la fin du dialogue. Rien, n’est exprimé ni au dehors, ni au dedans. Et, c’est à ce niveau que le véritable silence peut naître. Le silence du Non-Etre, qui peut tout abîmer, toutes les représentations du sujet. L’homme intérieur, par le silence, peut s’abîmer en cette solitude du dedans. Là où l’homme parvient à ce fond secret, il annihile les sollicitations extérieures répercutées par l’activité mentale.

« Il n’y a plus place ici que pour le silence, non pas cependant le silence de quelqu’un qui aurait cessé de parler, mais le silence pur et absolu, car en réalité il n’y a plus personne qui parle » (Henri Le Saux). Là où l’homme re-trouve la dimension de l’impersonnel, où le « je » et le « moi » n’existent plus.

La Source, c’est aussi l’homme qui ne parle pas, il n’est plus dans le bavardage ni mondain, ni spirituel.

La voie du silence semble plus proche de la voie de la connaissance (j¤àna). La Réalisation ne s’extériorise pas, mais c’est l’homme intérieur qui est trans-figuré, même si ensuite tout son monde extérieur est illuminé. Une telle Réalisation peut s’accomplir dans le silence, le Connaisseur sait que rien ne peut être dit, il est dans l’Inexprimable, et se taire est la seule attitude juste. Une immobilité apparaît à ce seuil, fixé au-delà de la mobilité il est « calàcala » (soit immobile dans la mobilité), les évènements extérieurs et intérieurs n’ont plus de sens pour lui. Cette Réalisation est le silence intérieur.

On peut aussi associer ce silence au vide. L’un exprimant l’autre, mais il faut aussi oublier toute formalisation d’un tel vide.

Le silence n’est pas seulement un état mais il est le centre (hçdaya ; le cœur). Parvenir en ce centre est aussi la Réalisation, où la «  pensée-je » est absente, et a fait retour en sa Source.

Comme le Soi, en chaque être humain, le silence n’est pas une acquisition, car il est toujours déjà là. Comme Maître Eckhart ne cesse de l’affirmer, c’est le « fond secret » de l’âme. Et, seul « la connaissance de soi », qui est connaissance du Soi en chacun de nous, où ce Moi le plus profond est atteint.

Le silence chez Maître Eckhart. Le thème de l’Inexprimable, de l’ineffable, la « Déité » nous conduit donc au silence. Car, ce qui est à dire de la « Déité » vient excéder ce qui peut en être dit, et donc le silence est plus approprié pour l’évoquer. Il faut parvenir à garder le silence sur ce qui est au plus profond de l’homme. On voit donc en quoi, pour Eckhart, ce silence ne peut-être qu’une conséquence de l’insuffisance de toute mise en forme. De toute verbalisation, car la parole humaine est alors un échec, une mise à distance, une séparation d’avec la « Déité ». Il convient donc de se taire : « Dieu est inexprimé (…) et le silence est plus approprié que de parler (…) il convient mieux pour nous de garder le silence sur Celui qui est à l’origine de toutes choses. » (Sermon 36a).

« Se taire », c’est le silence extérieur, mais aussi faire advenir un silence intérieur, qui devient la possibilité de l’écoute de cette Parole qui arrive au centre/cœur de l’homme. Une véritable ouverture intérieure pour se recueillir vers la Personne Divine.

« Au temps de minuit, alors que le silence enveloppait toutes choses, la Parole, Seigneur, descendit du trône royal. » (Sg 18.14).

L’Ecriture comme Révélation de la Parole, « dans la nuit », dans ce détachement, doit faire advenir le silence intérieur, qui est une éloquence.

« Saint Jean dit : « Au commencement était la Parole, et la Parole était auprès de Dieu, et Dieu était la Parole. » Eh bien, celui maintenant qui doit entendre cette Parole dans le Père – elle est tout silence – cet homme, il lui faut être tout en silence et être séparé de toutes les images, oui, et de toutes les formes. » (Sermon 42)

« Je dis en bonne vérité et dans la vérité éternelle et en vérité durable que cette même lumière ne se contente pas de l’être divin simple impassible, qui ne donne ni ne prend, plutôt : elle veut savoir d’où provient cet être; elle veut (parvenir) dans le fond simple, dans le désert silencieux, là où jamais différence ne pénétra, ni Père, ni Fils, ni Saint Esprit au plus intime, là où personne n’est chez soi, c’est là que trouve contentement cette lumière, et là elle est plus intérieur qu’elle n’est en elle-même; car le fond est un silence simple, qui en lui-même est immobile, et c’est par cette immobilité que toutes les choses se trouvent mues, et que se trouvent conçues toutes les vies que sont en eux-mêmes les vivants doués d’intellect.  » (Sermon 48) (Souligné par l’auteur de l’article)

Le Verbe Divin ne peut se dire que dans le silence de l’âme. Où il faut entendre que le silence ne peut être simplement cette absence de paroles, si simple, mais l’effacement des paroles humaines devant la Parole de Dieu.

Les paroles humaines ne peuvent dire la totalité du Grand Mystère divin, ce ne sont que des tentatives de dire ce qui ne peut être dit.

Nous avons donc vu qu’une métaphysique du Silence pour la pensée Traditionaliste s’origine du Non-Etre, où le non-manifesté vient comme envelopper le principe de toute manifestation.

L’Inexprimable que Guénon et Coomaraswamy vont de ce fait poser comme comportant le Principe de toute expression. Et, c’est à partir de la Métaphysique Hindoue que les bases sont affirmées.

C’est à cela que tend la voie du silence dans la tradition védique, mais aussi dans le Bouddhisme, le Soufisme, la Gnose, la mystique Chrétienne avec Maître Eckhart. Les sages contemporains Indiens, comme nous l’avons indiqué, que ce soit Ramana Maharshi, ou Nisargadatta Maharaj auront un enseignement où la Vérité éternelle, a sa Source au sein de cet Inexprimable, ce Principe Primordial informel.

Découvrir cette voie du Silence doit donc être une des démarches essentielles de l’homme en « queste » spirituelle. Voie qui conduit à la Réalité Ultime.

 

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