Cet essai est une traduction du chapitre II du livre édité par Robert Strom, « Guardians of the Sun-Door, Late Iconographic Essays and Drawings of Ananda K. Coomaraswamy ».
Les Gardiens de la Porte du Soleil et le type du Sagittaire
Dans une recension Bouddhiste ultérieure de notre mythe[1] (des Gardiens de la Porte du Soleil), on retrouve les traits distinctifs ; les eaux médicinales sont possédées et gardées par un serpent ou un dragon, qui veille sur elles, et emportées par un héros qui vole à travers les airs et en vainc le Défenseur. Mahā Sumana, un saint précoce par sa jeunesse, est devenu le disciple du vénérable moine bouddhiste Anuruddha. Ce dernier, tombé malade, demande à son disciple accompli de lui apporter une cruche des eaux curatives du lac Anottata[2]. Ce lac est gardé par le Nāgarāja Paṇṇaka[3], « muni d’une terrible énergie flamboyante (tejas) et de forces redoutables », qui le recouvre de ses capuchons. Mahā Sumana vole à travers les airs, et, atteignant le lac, explique le motif de sa venue. Le Roi-serpent refusant de le laisser emporter l’eau, Sumana déclare qu’il compte la prendre avec ou sans son consentement. Et le serpent répond : « Mes félicitations ! Emporte (harassa, « vole »), je t’en prie, mon eau s’il y a en toi la virilité d’un héros ! » Sur quoi Sumana piétine sous ses pieds les capuchons du serpent, lesquels en s’écartant, laissent jaillir des fontaines d’eau ; il remplit en remplit sa cruche et retourne par les airs à l’ermitage de son Maître, où la guérison est réalisée. A ce moment là Paṇṇaka a poursuivi vainement Sumana jusqu’à l’ermitage ; là Anuruddha lui fait des reproches jusqu’à ce qu’il se rende compte de ses erreurs ; demandant pardon, il devient l’ami de Sumana et promet de lui fournir désormais de l’eau vivante lorsqu’il en a besoin. Ce qui, bien entendu, est la conséquence d’une quête réussie : le Défenseur des Sources de Vie en reste le gardien, au service désormais du Héros victorieux, qui n’est plus son adversaire, mais celui dont « les ailes furent de taille à lui permettre de voler jusque là-haut ».
Dans un autre mythe Bouddhiste[4], cinq cents « marchands » traversant un terrain vague sont sur le point de mourir par manque de nourriture et d’eau ; ils trouvent un arbre banian dont l’approche est gardée par un dragon (nāgapariggahītaṃ nigodha-rukham). Ce banian se révèle être pour eux un véritable Arbre de Vie, car ses branches leur procurent de l’eau, de la nourriture et un trésor. Le dragon dans cette version leur en donne volontiers, mais dans une autre version, les marchands avides abattent l’arbre dans l’espoir d’obtenir un plus grand trésor, sur quoi une troupe de dragons leur tombe dessus et les attache si bien qu’ils ne peuvent s’en extraire. Ces deux versions présentent les deux dénouements possibles de notre mythe.
On aura peut-être remarqué que dans la version du Dhammapada Atthakathā le héros est traqué alors qu’il s’enfuit avec le butin, comme c’est le cas dans de nombreuses versions indiennes plus anciennes, en particulier dans celles où apparaît le motif de la plume tombée à terre. La même poursuite a lieu dans la version eddique. Il faut comprendre que le héros n’est jamais en sécurité, même s’il a réussi à emporter la Plante de Vie, tant qu’il n’aura pas atteint sa destination. Il existe des versions grecques et assyriennes dans lesquelles le Héros échoue finalement, parce que justement la Plante lui est volée alors qu’il en train de rebrousser chemin ; et il est notable que dans les deux cas la Plante est récupérée par un serpent associé à un étang ou à une source. Dans l’épopée de Gilgamesh, le Héros prend un bain, et, là « un serpent perçoit la Plante grâce à son parfum et l’avala. Lorsque Gilgamesh constata ce qui s’était passé, proférant une malédiction, il s’assit et pleura […] la perte de son ouvrage »[5]. Dans le « Mythe d’Ogygie » raconté par Nicandre « Zeus envoya un lot de jeunesse à l’homme, qui le chargea sur le dos d’un âne. L’homme assoiffé, alla boire à une source, mais y trouva un serpent. Celui-ci demanda à l’homme son lot de jeunesse contre de l’eau, et l’âne y consentit ; d’où il s’ensuit qu’un serpent peut muer et rajeunir, mais l’homme vieillit inévitablement »[6].
L’Āśīviṣa indien [« serpent venimeux »] mentionné ci-dessus, correspond à l’Azhi-Vishapa de l’Avesta et à l’Azhi-Dahakā ophidien de l’épopée Zohak, lequel est représenté sous forme humaine avec une paire de serpents lui poussant des épaules, en qui nous allons reconnaître Ningiśzida, l’ancien dieu-serpent sumérien, Défenseur et « Seigneur de l’Arbre de Vérité »[7]. Azhi-Dahāka est décrit (Yasht, V, 34) comme un Druj à trois têtes (sanskrit : druḥ : « démon », « fourbe »)[8] vaincu par Thraetona (de l’épopée de Farīdun), tout comme Viśvarūpa à trois têtes, frère de Vṛtra, est vaincu par le Trita védique, ami d’Indra. (Ṛgveda, II 219 et X 8, 8)[9]. Ātar (l’Atri védique, le « feu ») vainc également Azhi-Dahāka dans un combat pour la possession de « la Gloire inviolable » (Yasht, XIX, 46 f)[10]. Dans les mêmes contextes Kerasāspa (de l’épopée de Garshāsp ; sanskrit Kṛśāśva : « ayant un cheval maigre ») vainc Azhi-Dahāka, le serpent Svara, mangeur de chevaux, et Gandarewa au talon vert [11] (sanskrit : Gandharva) dans la mer aérienne Vouru-Kasha (Yasht, V, 38 et XIX, pp.38-41). Et puisque l’arbre Gokard, « l’Arbre du Faucon » (seno, sanskrit śyena), autrement dit le Haoma blanc (sanskrit : Soma) poussait dans cette mer,[12] et le Faucon est l’une des formes de Verethragna de l’épopée Bahrām, (sanskrit : Vṛtra-han, « le tueur de Vṛtra », épithète d’Indra et de certains de ses alliés), on ne peut guère douter que tous ces combats n’aient été menés pour l’obtention d’une « Vie » gardait jalousement par des « Gandharvas » ou « Chérubins » ophidiens ou draconiens[13]. Gardée, afin de mieux dire, contre tous sauf du Héros spirituel capable d’éviter les « Rochers s’entrechoquant » et de vaincre « le plus haut Esprit de la raison qui garde la Porte du Paradis en lequel toi, Dieu, tu demeures »[14] ; pour « garder la Voie de l’Arbre de Vie » contre les esprits déchus dont la pensée alterne entre « le bien et le mal », les types mêmes des contraires, comme le dit Nicolas de Cues, pour lesquels le mur du Paradis est construit, et dont l’homme doit être délivré s’il souhaite rentrer là où, comme le dit Maître Eckhart : « ni le vice ni la vertu n’entra jamais ».
Les formes ou, comme diraient les indiens, avātaras, de Verethragna « le vainqueur suprême parmi tous ceux qui font l’objet de culte sacrificiel » sont celles du Vent (vata), du Taureau, du Cheval, du Sanglier, du Jouvenceau, de l’Oiseau Varaghna, du Bélier, du Bouc de combat et de l’Homme à l’Epée d’or forgée par Ahura Mazda[15] (Yasht, XIV, 7,19). En tant qu’Oiseau (une forme de Verethragna comme le faucon indien Vṛtraghna […] il est qualifié de « plus rapide des oiseaux, la plus légère des créatures volantes », ajoutant que : « parmi tous les êtres vivants il est le seul qui vole plus vite que la flèche, si bien dirigée soit-elle ». Presque en les mêmes termes, Dante dira : « contre ceux qui ont toutes leurs plumes on tire en vain des flèches et des filets » (Purgatoire, XXXI, 62, 3 ; [trad. J. Risset]. Autant dire que le « vol » ici est intellectuel ; ce qui « vole » aussi rapidement est « cette chose en nous la plus rapide, plus rapide que le vol des oiseaux, je veux dire la compréhension » (Philon, De Sacrifiis, 65). « L’Esprit (sanskrit. manas = grec νοὒς [nous]) est le plus rapide des êtres volants (Ṛgveda, VI, 9, 5). Agni est « rapide comme l’Esprit » (Jaiminīya Brāhmaṇa, I, 50, etc.), et un « véhicule divin », à savoir l’Esprit, car « c’est avant tout l’Esprit qui transporte celui qui est doté d’Esprit vers les dieux » (Śatapatha Brāhmaṇa, I, 4, 3, 6) ; c’est toujours dans un corps-esprit (manomaya), jamais dans la chair, que dans l’Hindouisme et le Bouddhisme, on s’élève vers le monde de Brahma, d’où il n’y a pas de retour. Il est important de garder à l’esprit que l’Oiseau en question est foncièrement un Oiseau-Feu plutôt qu’un Oiseau-Soleil et que son universalité formelle est essentiellement celle du Phénix qui, décrit par Lactance, rassemble en lui toute espèce de créature volante : contrahit in coetum sese genus omne volantum.
A propos des formes animales du Héros, Langdon dans Semitic Mythology, p.281, ne comprend pas comment on a pu représenter l’ancien combat de Marduk (Sagittaire) avec Zū (Aquila) comme un combat entre Marduk et « des animaux inoffensifs comme des chevreuils de montagne ». Or non seulement les chevreuils ne sont pas inoffensifs aux yeux du jardinier, mais même un animal encore plus faible, le lièvre, est également un type connu du voleur, ce qui constitue le thème de l’ancien motif si répandu de la poursuite du lièvre par des chiens de meute, gardiens du jardin[16]. Il faut concevoir que ce n’est pas tant par la seule force, mais par sa vitesse, sa légèreté, son courage ou son habileté que le maître-voleur réussit. Le Défenseur est le propriétaire d’un « jardin », et par conséquent le Héros peut être représenté par toute créature, grande ou petite, forte ou faible, faisant partie de l’espèce qui se nourrissent des fruits ou des feuilles qui poussent dans un jardin. Typiquement c’est un arbre fruitier qui est gardé, c’est typiquement contre un oiseau qu’il est défendu, et dans ce cas le Défenseur apparaît sous la forme d’un des ennemis naturels de l’oiseau, par exemple un archer ou un serpent[17]. Sous forme humaine ou comme centaure, l’archer survit jusque dans l’art européen médiéval, et finit par être laïcisé ; un exemple notable peut être cité à Ceylan[18]. Qu’il soit archer (armé de flèches empoisonnées) ou serpent etc., le Défenseur a la particularité d’être venimeux ; alors que l’Oiseau-Voleur est un maître des contrepoisons[19]. Si d’autre part, la Source de Vie est conçue comme étant une plante (Lebenskraut, Herbe de Vie, etc.) plutôt qu’un arbre, alors le voleur sera naturellement représenté par des animaux comme le cheval, le cerf, l’éléphant ou le lièvre, lesquels se nourrissent effectivement de feuilles ou d’herbes, et le Défenseur sinon sous forme humaine et armé d’un arc ou d’une autre arme, sera un lion, un chien ou un autre carnivore dangereux. Si à certains égards le Voleur et le Défenseur peuvent se ressembler (les deux, par exemple, sont généralement ailés), c’est parce que, comme le Christ et l’Antéchrist et les « deux Agnis qui se haïssent » (Voir Taittirīya Saṃhitā, V, 2, 4, 1.), ce sont à proprement parler des antitypes ; on pourrait citer, par exemple, le conflit de Bouddha avec l’Ahi-nāga (qualifié de āśiviṣo ghoraviṣo, etc.), dans lequel il prend l’apparence d’un « Nāga humain » et « combat le feu avec le feu » (Mahāvagga, I, pp.24-25), alors que dans le combat autour de l’Arbre avec Māra (« la Mort », un Nāgarāja, identifié à Kāmadeva = Eros[20]), dont les flèches ne parviennent pas à l’atteindre, le Bouddha remporte la victoire uniquement par son impassibilité (Jātaka, I, 73). L’arc, si caractéristique soit-il du Sagittaire = Kṛśanu (le bouddhiste Māra), n’est pas infailliblement un attribut du Défenseur ; il existe, par exemple, un ensemble exceptionnel de sceaux représentant un archer visant un serpent à cornes (= Ningiśzida), et il n’y a pas de doute que c’est le premier qui figure le Héros et que le deuxième le Défenseur. Le seul signe infaillible permettant toujours de reconnaître le Défenseur c’est son caractère venimeux, ophidien, dont la marque la plus évidente est sa queue de scorpion ou de serpent ; celle-ci est en effet la queue qui survit, mise en évidence avec les cornes du serpent, dans les représentations médiévales du Diable, dont l’iconographie est à cet égard exacte, puisque c’est le Diable qui s’oppose au Christ, malgré ce dernier, aperuit nobis januam coeli.
Le mythe nous confronte au problème de la prétendue « jalousie » (φθόνος [phthonos]) des hauts Dieux de la Vie. Langdon (Semitic Mythology, p.185) parle des dieux de la fertilité, probablement Ningiśzida et Tammuz, dont le serpent était emblématique, comme étant « jaloux de celui d’entre les hommes qui voudrait atteindre l’immortalité pour être comme eux ». De même dans le Ṛgveda, les Asuras possesseurs et gardiens de Soma ou d’autres trésors sont souvent qualifiés d’ « avares » ou de « mercenaires » et nous constatons également que les divinités (terrestres) qui sacrifient, lorsqu’elles arrivent dans l’autre monde, vont jusqu’à retourner le poteau sacrificiel, barrant ainsi le chemin à ceux qui voudraient les suivre (Taittirīya Saṃhitā, III, 4, 6 ; Aitareya Brāhmaṇa, II, 1, 2). Darmetester fait remarquer que « dans la mythologie védique, le Gandharva gardien de Soma et soit qualifié de dieu, soit de démon, suivant qu’il est prêtre céleste de Soma ou un possesseur jaloux qui résiste à en céder à l’homme » The Sacred Books of the East, XXXIII, 63, note 1. Ce serait, néanmoins, franchement une grave erreur de vouloir qualifier que « jalousie » d’ « avarice » au sens propre, même si on peut la mettre en contraste avec la « générosité » d’Indra. Cela équivaudrait à imputer d’avarice les Chérubins de Genèse, 3, 24, à la « déité inflexible » du Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 5, 1, 1 ; à « l’Ami » de Rūmī (Mathnawī, I, 3056-3065) ; à « l’Esprit le plus Haut de la Raison » de Nicolas de Cues, et aussi à Saint Pierre et à tous les autres Janitors [Gardiens] de la Barrière du Ciel – sans parler de celui qui ferme la porte aux vierges folles et les empêche de participer aux repas de noces (Matthieu, XXV). La visée du mythe est métaphysique ; et nous ne comprendrons pas ses énoncés si nous ne reconnaissons que les termes de diffamation utilisés par les pouvoirs antagonistes sont purement symboliques, tout autant que les armes de l’iconographie visuelle. Ou bien suppose-t-on que dans ces combats aériens menés devant la Porte du Soleil, on se servit d’ « arcs et de flèches » de fabrications humaines, ou que l’épée du Chérubin dans le livre de la Genèse eût été fabriquée sur terre avant même la construction de la première forge ? Ce qui ne serait pas plus intelligent que de poser la question : « Que faisait donc Dieu avant qu’Il ne créât le monde ? » La Porte est gardée, non pas pour écarter ceux qui sont capables de surmonter « l’Esprit le plus Haut de la raison », ni pour exclure quiconque est effectivement « doté d’ailes tel qu’il est capable de voler jusque là-haut » s’ils ont des yeux d’aigles pour pouvoir fixer le Soleil (Paradis, X, 74 ; autrement dit les τελέαι [teleai], ceux qui ont parfait leur âme), qui est capable et disposé à passer au travers de l’ἄκπαν ἁψἳδα [akras apsîda], « l’œil du faîte »] afin de participer au convivium [banquet] sur céleste (Platon, Phèdre, 247b ; Philon, Opif, 71), mais seulement pour barrer le chemin à ceux qui sont inaptes ou incapables d’y entrer. « Inapte » et « incapable » sont, non pas deux, mais une seule et même qualification ; c’est précisément « en raison de leur aptitude-capacité (arhaṇa) que les dieux réalisent leur immortalité » (Ṛgveda, X, 63, 4). Tous les dragons, les murs et les portes qui demeurent fermées [inactives, « inactive »] des mythes ne sont que des symboles de nos propres insuffisances et échecs. Quiconque en possède la clef reçoit un accueil royal.
Le mythe met en évidence l’opposition de pouvoirs contrastés et la possibilité, par conséquent, de se ranger du côté de l’un ou de l’autre, ou d’aucun des deux. Le récit sera coloré selon notre point de vue ; le plus souvent, bien entendu, nous choisirons le camp du Héros (humain ou semi-divin) ; nous applaudirons ce dernier, tandis que le Défenseur (surhumain) deviendra pour nous un démon, et en dernière analyse, le Diable lui-même. Apollonios de Rhodes (Les Argonautiques, IV, 1432) raconte l’histoire avec fidélité ; les Argonautes considéraient Hercule, car il avait libéré les eaux (de la même façon qu’Indra), comme un héros et un sauveur, mais du point de vue des Hespérides le meurtre du serpent gardien et le vol des Pommes d’Or étaient des actes de violence gratuite, et Hercule une brute impitoyable. Les mythes celtiques sont racontés presque toujours à partir du point de vue du Héros, auquel nous nous identifions. Dans le Ṛgveda, la mise à mort ou le démembrement de Vṛtra et le Rapt de Soma sont de glorieux hauts faits [« feats »], et on ne peux faire assez l’éloge du héros Indra et de l’Aigle de les avoir accomplis ; Néanmoins, il est explicite que le Rapt de Soma est un « vol », et le démembrement ou la décapitation de Vṛtra est un « péché originel » ; et c’est précisément le Sacrifice rituel, consistant à « restaurer la tête du Sacrifice » (celle de Vṛtra, Soma, Makha, Viṣṇu, Prajāpati, etc.), permettant à la divinité démembrée de redevenir « intacte et intégrale », ce qui en constitue une délivrance[21]. Si nous voulons comprendre le mythe et la raison d’être [En français dans le texte] de son iconographie variée et pourtant fixe, il faut se rendre compte que l’opposition réciproque des pouvoirs de lumière et de ténèbres est strictement relative et seulement valable sous le Soleil. C’est justement notre attachement à l’une ou à l’autre de ces valeurs contraires qui fait que la « Porte Active » nous soit fermée, car celle-ci est la porte qui conduit au-delà le-bien-et-le- mal[22] qui occasionna notre Chute. Tel sera le point de vue de celui qui n’est pas soumis à, ni distrait par ces dispositions opposées, pour qui « dans tous ces conflits, chaque partie a raison » (Ṛgveda, II, 27, 15). Si nous voulons demeurer au niveau de référence métaphysique visé par les récits fabuleux, nous devons les interpréter en terme de justice immuable, non pas selon l’équité.
Qualifier l’un ou l’autre des Champions opposés de « bon » ou de « mauvais », ne peut que nous conduire à des confusions inévitables et inutiles. Frankfort, par exemple, (Seal Cylinders, p.113), prenant le parti de Ninurta, qualifie Zū, emmené captif devant Ea assis sur le trône, de « créature démoniaque ». La capture et le jugement de l’Homme-Oiseau est, en effet, un sujet souvent représenté sur les sceaux akkadiens[23], l’« oiseau démoniaque » étant jugé pour l’infraction de « possession illégale » de propriété volée. Ailleurs, toutefois, (Frankfort ; « le Griffon Crétois […] p.128)[24], le ‘‘Griffon’’ ( le Défendeur) est « un pouvoir terrifiant, contre lequel le Griffon-démon (l’Homme-Oiseau, le Héros et le Voleur) qui offre une protection » ; Le Griffon-démon « apparaît partout comme bénéfique à l’homme ». En effet, c’est lui qui fait descendre d’en haut, au péril, et même au prix, de sa vie, les dons de vie et de connaissance indispensable à l’existence de l’homme. Pourquoi le qualifier de « démon » ? En dernière analyse, le Défenseur est le « Père » et le Héros le « Fils », dont la crucifixion cosmique trouve un équivalent dans les châtiments de Zū et de Prométhée, et à la décapitation de Dadhyañc.
Nous sommes à présent mieux en mesure d’examiner l’iconographie de l’archer. Il faut toutefois poser d’abord en principe que la désignation de « dragon » a été trop souvent (par exemple Langdon, Legrain et Frankfort) faussement appliquée au Héros ; elle devrait s’appliquer uniquement au Défenseur, qui seul possède le « mauvais œil », comme le mot δράκων [drakôn][25] lui-même l’implique.
Le type survivant du Sagittaire, comme nous l’avons vu, est celui du centaure armé d’un arc et de flèches, comme les centaures de Dante « couraient armés de flèches, tout comme, sur Terre, ils allaient à la chasse » (Enfer, XXI, [Trad. Fr. J. Risset])[26]. Mais comme le signale Hartner, dans l’iconographie islamique, l’archer-centaure a la queue nouée d’un serpent, et se termine en tête de serpent ou de dragon[27]. Dans certains cas, (Hartner, Fig. 20, 21) le corps de l’archer est léonin, et le torse est retourné de façon que la flèche vise directement la gueule ouverte du serpent qui en constitue la queue ; Hartner qualifie cette forme comme une combinaison du centaure originel du Sagittaire et de « Jupiter président ce Domicile, avec la queue du dragon dans l’Exaltation dans ce signe zodiacal ». J’hésite à exprimer mon désaccord, mais il me semble que le lion est solaire et que nous avons affaire ici à un Sagittaire issu du type assyrien du Défenseur à corps de lion. Nous trouvons sur un fourreau de l’épée de Melgunov[28], dans l’art scythe du VIIème siècle av. J-C, dont le style est purement assyrien, un ensemble de quatre archers, tous avec des corps de lion et deux avec des queues de scorpion, dont les têtes sont respectivement celle d’un lion, d’un homme, d’un oiseau, et dont une est méconnaissable. Tous ont aussi ceci de particulier que leurs ailes ont la forme de poissons. Tous tirent vers la poignée de l’épée, sur laquelle est représenté un Arbre de Vie, avec deux arbres plus petits et une paire de genii [génies] ailés ; et on peut difficilement douter que ces quatre archers léonins (dont les types sont évocateurs des quatre Évangélistes) ne soient les Défenseurs d’un jardin.
Dans le grand Zodiaque de Dendérah, dont un exemplaire se trouve au Louvre, remontant à l’ère romaine ou égyptienne, le Sagittaire est représenté comme un centaure ailé, bicéphale, une tête étant celle d’un animal (peut-être d’un léopard), et l’une des queues celle d’un scorpion. Celui que Hartner reproduit, suivant Jeremias, a la queue relevée d’un scorpion, bien que celle-ci ait quelque ressemblance avec celle d’un serpent[29], il ne fait aucun doute que la queue relevée est bien celle d’un scorpion. Cet archer en provenance de l’Égypte hellénistique est lui-même un reflet, ou une survivance du type presqu’identique qui se trouve sur le Kuduru de Meli Sipak, vers 1200 av. J-C[30], conservé au British Museum ; ici le centaure bicéphale semble tirer vers un oiseau posé sur un pilier, vers lequel bondit le chien ; ce centaure est doté de queues de cheval et de scorpion, comme précédemment, et un scorpion entier est représenté sous ses pattes antérieures. Un type presqu’identique apparaît sur un autre kuduru de la même période en provenance de Babylone[31], et un type similaire, avec une seule tête (humaine) et une queue (de scorpion), et armé d’une massue plutôt que d’un arc, sur un sceau kassite tardif ou assyrien, datant selon Frankfort d’environ 1450 ans av. J-C[32]. Ici le Défenseur, un centaure ailé doté d’une seule tête barbue et d’une queue de scorpion (autant dire un homme-scorpion à corps de cheval) qui chasse un groupe de chevreuils.
Le matériel iconographique actuellement disponibles ne nous permet pas de suivre les traces de ce type au-delà, à la limite, du XIVème ou XVème siècle av. J-C. La forme est indéniable sur un sceau de la période Helladique tardive de Prosyma[33]. Ce qui semble être la plus ancienne occurrence du centaure-archer apparaît sur une tablette kassite en provenance de Nippur vers 1350 av. J-C[34] ; ce type est ailé, la queue est divisée en deux, et une partie du corps chevalin est recouverte d’une peau de panthère ; la ou les têtes ne sont pas bien conservées ; la flèche vise un arbre sur lequel un oiseau avait pu se percher. Selon Baur le type du kudurru au centaure est « le symbole à partir duquel le Sagittaire du zodiaque se développa » ; toutefois, pense-t-il, sa fonction était à l’origine apotropaïque plutôt qu’astrologique[35]. Hartner (p.148) dit « on a l’impression que le corps du centaure est conçu pour fusionner avec le corps d’un monstre dont seulement la tête et la queue de scorpion sont visibles. Ce monstre, est-il apparenté à, ou même une version modifiée du dragon mésopotamien à deux cornes, bien connu sur les kudurrus, lequel, quand il apparaît sur des sceaux, est généralement doté d’une queue de scorpion ? Cette hypothèse est très probable ». Ces deux observations pertinentes nous fournissent un indice des sources mythologiques de notre iconographie : la fonction principale de l’archer est bien celle de défense, et nous allons pouvoir distinguer entre les éléments constitutifs de cet archer monstrueux, dont les deux têtes, tournées en des sens opposées, suggèrent le type du Janus ou du Portier (Janitor) de Marduk[36] .
Nous allons maintenant considérer une série de sceaux, surtout assyriens remontant en moyenne jusqu’à 1000 ans av. J-C, sur lesquels le conflit de Marduk (Ninurta, etc.) avec Zū (Imugud) de manières variées souvent comme celui d’un dragon avec un aigle ou un griffon. Chez Ward le n°631 est assez proche du Kudurru, où le Défenseur est un centaure-archer ailé doté d’une tête barbue et de deux queues, l’une de cheval et l’autre de scorpion, cette dernière positionnée au milieu du dos ; et de trois pattes antérieures, dont l’une est humaine alors que les deux autres semblent se terminer par des griffes de scorpion[37]. La partie principale du corps, les membres postérieurs et la vraie queue sont incontestablement de chevaux. De même type est le n°632 de Ward.
Dans d’autres versions, il arrive que l’archer barbu soit séparé de son véhicule draconien ailé, à présent à tête de lion et doté de cornes et d’une queue de scorpion, et crachant du feu et ne possède aucun élément équin reconnaissable[38]. Un bel exemple se trouve à Philadelphie, et est très similaire au n° 595 de Moortgart[39], au n° 575 de Ward et au n° 295 de Weber[40]. Dans le dernier mentionné, l’arbre que l’archer défend contre le voleur-voleur aquilin est clairement montré. Dans l’un des plus beaux sceaux toujours conservé à Berlin[41], l’archer barbu a mis pied à terre et sa monture draconienne ou son coéquipier, un monstre à cornes dont l’arrière-train est incontestablement équin le précède et participe au combat ; y figure aussi, distinctement, l’arbre. Un autre sceau[42] montre le Défenseur et sa monture à nouveau réunis.
On remarquera que notre type de Marduk est proche de celui de la Chimère et du Cerbère bicéphale à une queue de serpent. Nous savons qu’ils ont tous, avec Géryon et d’autres, la même ascendance (Hésiode, Théogonie, 270-286). Le type composite de l’archer monstrueux correspond en fait de près à celui de l’homme composite que Platon compare aux créatures syncrétiques comme la Chimère, Scylla ou Cerbère : la forme extérieure de l’homme, dit-il, incarne une bête disparate, à plusieurs têtes, et un lion. Nous tenons L’Homme Intérieur pour juste et maître de soi lorsqu’il domine totalement la bête (les appétits), et qu’il a fait du lion (le courage) son allié, la bête et le lion correspondant dans ce contexte (La République, 580b) aux deux chevaux de l’attelage corporel qui représentent les composants de l’âme mortelle, disposés au pire et au meilleur. Nous pouvons établir un parallèle entre le point de vue indien et celui de Plutarque, si nous disons que Marduk est l’Homme Intérieur solaire, ou la Personne solaire, « Apollon comme distinct d’Hélios » (Plutarque) ; il est aussi notre Homme intérieur, qu’il faut distinguer du véhicule composite d’âme et de corps dont il est de droit le Maître et le seigneur.
Il est possible d’effectuer un parallèle avec Indra, car il faut supposer que Marduk ou Ningiszida a antérieurement, comme l’homme qui est maître de soi, dompté le dragon qu’il chevauche ou auquel il est incorporé[43], ces deux expressions revenant au même là où, comme dans les contextes indien et platonicien, le corps est précisément le véhicule et le support de l’Esprit. Il existe, en effet, encore plusieurs sceaux anciens (Sargonide, vers 2500 av. J-C) représentant le combat d’un ou plusieurs dieux avec un dragon à cornes ou à sept têtes. L’un d’entre eux, est décrit correctement par Langdon, comme « Ninurta poursuivant le Mushussu », bien qu’on eût pu qualifier la divinité principale d’Adad, dieu des orages dont l’arme distinctive est le foudre[44]. Un second sceau semblable montre un dragon à sept têtes, dont quatre ont été frappées, et dont le corps s’enflamme[45]. Un relief en pierre provenant de Malatya, remontant à 1000 av. J-C. environ, est du même type[46]. Je ne peux m’empêcher de voir le même combat dans les nombreuses représentations de Marduk où, comme archer, il tire vers un dragon à cornes, évidemment le défenseur d’un arbre visible entre les combattants ; alternativement c’est avec le scorpion que Marduk se bat[47], et dans les deux cas, il faut comprendre que l’on assiste à la conquête originelle par Marduk des pouvoirs meurtriers que désormais il chevauche ou s’incorpore. Ces types font, par conséquent, la seule exception à l’observation exacte de Frankfort selon laquelle « la queue de scorpion n’est jamais propre à la proie mais toujours à l’allié » (Seal Cylinders, p.216), affirmation parfaitement juste en ce qui concerne les combats entre Marduk et Zū ; celui-ci ne peut jamais représenter l’homme-scorpion.
De nombreux érudits ont reconnu, dans ces représentations d’un combat entre un dieu avec le dragon Muśhuśśu, que le dieu chevauchera ensuite ou s’incorporera, les archétypes ou équivalents du mythe grec d’Héraclès et de l’Hydre à sept têtes[48], du mythe hébreux du combat de Yâw (Yahvé) avec le Leviathan (un « serpent » dans Isaïe, XXVII, 1), et de la victoire d’Indra sur Ahi-Vṛtra[49] ; ce serait d’ailleurs surprenant si cette légende indienne et iranienne n’était pas dans son intégralité sumérienne.
Nous avons souligné ci-dessus les mots « chevaucher » et « s’incorporer », car ils évoquent parmi les plus anciens récits indiens des parallèles avec le combat entre Indra et Ahi-Vṛtra. Il est vrai que nous ne trouvons nulle part d’exemple d’Indra chevauchant un dragon. En revanche nous constatons que son véhicule, en particulier quand il représente le Dieu de l’Orage, est l’éléphant Airavāta (Erāvana) ; et, à ce propos, le fait que nāga, « éléphant », signifie aussi « dragon », n’est pas anodin. Car Airavāta est Dhṛtarāṣṭra, le Régent de l’Est, à l’origine est un roi des Nāgas (Dragon) mais aussi parfois le roi des Gandharvas[50] ; et il ne fait aucun doute que les quatre Régents des Points cardinaux ne fussent à l’origine des dragons, pour devenir seulement plus tard des « éléphants »[51] ; ainsi le véhicule d’Indra se révèle-t-il, en fin de compte, être originellement un dragon. Il est vrai également qu’Indra n’est presque jamais représenté avec des attributs ophidiens[52] ; bien qu’il soit dit assumer toutes les formes, sa représentation est toujours anthropomorphique. Néanmoins, il est certain qu’il « incorpore » Vṛtra, il le « dévore »[53] même, ou celui-ci pénètre dans Indra « afin de t’embraser [kindle][54], que tu puisses manger », si bien que «Vṛtra est le ventre, la faim est l’ennemi de l’homme », et Vṛtra demeure jusqu’à ce jour le consommateur de nourriture en nous, à savoir le feu digestif[55] ; en outre, s’étant ainsi incorporé Vṛtra, Indra « est maintenant ce que fut Vṛtra » (Taittirīya Saṃhitā, II, 4, 12, 6 ; ŚB, I, 6, 3, 17). On sait que l’acquisition de pouvoirs et de propriétés, en fait un nouveau « personnage », en mangeant la chair de la victime, ce qui est bien sûr une formulation métaphysique très familière, qui sous-tend la philosophie de tous les repas eucharistiques[56]. Dans le cas présent, ayant dévoré Vṛtra, de nature lunaire, Indra « renaît du Sacrifice » et « devient Mahendra [« le Grand Indra »]». N’est-ce pas de la même manière que Marduk « s’incorpore » Muśhuśśu ?
C’est précisément le double sens du mot nāga qui fournit l’explication de l’éléphant volant à queue de serpent nouée. On peut voir en cet oiseau littéralement éléphantin une explication d’une part du centaure à la queue de serpent nouée, et d’autre part de Marduk[57] représenté sous la forme d’un aigle bicéphale et du gaṇḍa-bheruṇḍa[58] indien qui lui correspond. Nous ne discuterons pas ici plus longuement sur ce motif, mais nous voulons seulement souligner que dans notre reproduction l’oiseau ophidien-éléphantin est attaqué par le Simurgh, l’équivalent islamique du Garuḍa indien. Le Kathā Sarit Sāgara raconte, en effet, comment un éléphant volant se fait attaquer par un Garuḍa ; et il est évident que le combat du Simurgh avec l’éléphant volant est en réalité une réplique exacte des combats du Simurgh avec un dragon ; dans les deux cas le combat se déroule dans un paysage paradisiaque, dont l’oiseau ophidien-éléphantin doit être considéré comme le Défenseur.
Si à présent nous revenons à un examen plus approfondi des sceaux, nous allons trouver un autre ensemble où le dieu barbu, armé d’un arc, d’une massue ou d’une faucille, et parfois doté d’ailes, se bat seul sans le soutien d’une monture ou d’un auxiliaire. Dans notre figure[59] le Défenseur brandit une massue et comme Langdon le remarque « Zū est devenu un Pégase […] le cheval ailé est une forme de Zū, basée sur un rapprochement astronomique »[60] ; tandis que sur un autre le Défenseur de l’arbre est un archer, et Zū est un Pégase à cornes ou une licorne, ou peut-être un taureau[61]. Dans deux beaux sceaux, l’un à Philadelphie, l’autre provenant de la Brett Collection (n° 120), maintenant à Boston[62], le Défenseur barbu (Marduk-Ashur) a des ailes, et l’arbre est un Pilier de lumière semblable à un candélabre et portant un Soleil flamboyant. Dans ceux-ci et dans la plupart des cas mentionnés ci-dessus, il est clair que Zū est repoussé.
Notre archer apparaît sur certains kudurrus et sur de nombreux sceaux[63] sous la forme de l’ « homme-scorpion » (girtab-ili). Le chien qui accompagne[64] quelque fois l’homme-scorpion et l’aide est sans doute le même que celui qui accompagne parfois le centaure à queue de scorpion. Avoir enfin reconnu que « le Sagittaire apparaît […] dans la période kassite sous la forme d’un homme-scorpion ou d’un centaure armé d’un arc et de flèches »[65] nous conduit avance considérablement vers une solution de nos problèmes, car nous disposons de beaucoup de renseignements au sujet des hommes-scorpions qui font déjà leur apparition au troisième millénaire av. J-C[66]. Nous savons grâce à l’épopée de Gilgamesh que des hommes, ou plutôt des époux-scorpions, sont postés aux confins de la Terre en tant que gardiens du Soleil : « Des hommes-scorpions, au regard mortifère, gardent sa porte […] ils gardent Shamash au lever et au coucher du soleil »[67]. Des homme-scorpions, les bras levés, gardant un sanctuaire solaire, et ailleurs un homme-scorpion qui « soutient » seul le disque solaire, sont bien représentés sur des sceaux reproduits par Frankfort pl. XXXIII(e).Voir Moortgart, 598, 599, 709, 752. Une comparaison avec les exemplaires 692 et 696 de Moortgart (dans lesquels l’archer figure le héros attaquant, comparable à Héraclès) démontre l’équivalence du serpent à cornes et de l’homme-scorpion, ces derniers étant des défenseurs de l’Arbre, et clairement l’homme-scorpion en a été chassé. Dans s’autres cas, les gardiens de la Porte solaire (Janitors) apparaissent sous une forme tout à fait humaine de divinités barbues, parfois du type Janus (Frankfort, pl. XVIIIa). Les indices présentés jusqu’à présent permettent de conclure qu’il existe une série de types de défenseurs de l’Arbre, allant de celui du serpent barbu à tête humaine barbue, ou du centaure à queue de scorpion, ou encore du dragon, à d’autres où les éléments constitutifs de formes humaines et monstrueuses sont complètement séparées et agissent dans ce cas indépendamment ou en collaboration. En d’autres termes, nous avons affaire à la personnalité d’une divinité dont les fonctions particulières sont indiquées non seulement par ses actions, mais aussi par les armes qu’elle manie et par le monstre draconien auquel il lui arrive d’être physiquement combinée et qui lui sert en même temps de monture. Ceci nous rappelle l’adage théologique indien selon lequel « les armes et la monture d’un dieu sont son énergie ardente (tejas) […] lui-même devient sa propre monture et son arme »[68]. Désormais la question de savoir « pourquoi ce dragon était associé à la constellation du Sagittaire » n’est plus « totalement irrésolue ».
Jusqu’à présent nous avons désigné le Défenseur solaire sous le nom de Marduk (qui est son nom dans la théologie babylonienne), d’Ashur (son nom dans l’assyrienne) et de Shamash (son nom sémitique). En tant qu’Ashur il est bien sûr, l’archer barbu bien connu du disque solaire ; ce type, ressuscité et doté d’un contenu spirituel nouveau après plusieurs millénaires, est toujours reconnaissable dans le [tableau] Repulse of the Rebel Angels de William Blake.
La première des Sept Tablettes de la Création (British Museum, Babylonian Legends of the Creation) rend bien compte de la grande variété des formes attribuées à Marduk ; il a, nous dit-on, la forme d’un dieu, ses dimensions « difficiles à appréhender, ne sont pas accessibles à la compréhension humaine, il est très grand, possédant quatre oreilles et quatre yeux, le Soleil tout-voyant et fils du Soleil[69]. Il est, en vérité, la réapparition [« rebirth »] de son père Ea, dont l’identité avec le Lahmu syrien explique clairement ses caractéristiques ophidiennes. Marduk est aussi Ba’al ou Bêl, le « Seigneur », et comme l’Indra indien, auquel il correspond, le « roi des dieux ». Mais l’iconographie des sceaux assyriens est finalement sumérienne, car il s’agit d’une divinité plus ancienne ; Ninurta ou Ningiśzida, que Marduk représente réellement[70]. De qui s’agit-il ? Selon Frankfort, Ningiśzida Ninurta, Ningirsu, Ab-u, Dumuzi (Tammuz) sont tous des épithètes, c’est-à-dire des aspects d’un « dieu qui personnifiait les forces génératrices de la nature, se manifestant dans la fertilité du sol et des troupeaux, habitant l’autre monde et prenant souvent la forme d’un serpent ; il été exposait à des périls mais il réussissait à vaincre des monstres ; son connubium [union] avec une déesse était un élément essentiel des rites annuels. Si divers épithètes servaient à l’invoquer il ne semble pas que celles-ci, du moins au troisième millénaire, eussent effacé la conscience de sa seule et unique personnalité »[71]. Cependant il a de nombreux noms et beaucoup d’aspects ; et si Ningiśzida est parfois le Janitor [Portier] en même temps qu’il est la Déité ab intra, ceci n’est pas plus surprenant que d’entendre celui qui dit « Je suis la porte » et « Nul ne vient au Père que par Moi », dire aussi « Le Père et Moi nous sommes un ».
Nous avons dit que Ningiśzida a des traits ophidiens, les mêmes que l’on trouve presque partout chez les grands dieux de la vie et de la fertilité[72]. C’est un dieu qui guérit, il est médecin, Asclépios ou Varuṇa[73]. Il peut être représenté sous la forme d’un homme-serpent à torse humain et aux parties inférieures ophidiennes[74] ; ou sous une forme humaine avec une paire de serpents à couronnes qui poussent des épaules[75] ; ou encore on le voit chevaucher ou accompagné par le dragon-serpent à cornes et couronné Ughu-Muśhuśśu. Sur le grand sceau de Ashmolean Museum il apparaît avec Gibil, Dumuzi, Ea et Ninurta (l’archer) dans un groupe de divinités opposé à l’Aigle (Im-gig = Zū) ; sur le sceau du British Museum datant de la période Agade il est assis sur Ug-hu (Muśhuśśu) et reçoit une offrande ; Sur le sceau de Gudea, son adorateur, il conduit le roi à Ea-Anu assis. Ningiśzida est qualifié de « compagnon de Dumuzi pour l’éternité ». Comme le dit Mme Van Buren : « la légende d’Adapa racontait comment les deux dieux, Dumuzi et Gizzida, se tenaient en gardiens à la porte du palais d’Anu »[76]. Nous avons déjà vu que le jardin et l’arbre sont propres avant tout à Anu-Ea. Giś-zi-da signifie « Arbre de Vérité, Nin-giṣ-zi-da donc « Seigneur de l’Arbre de Vérité », c’est-à-dire Anu lui-même. Comme le dit Mme Van Buren : « les deux gardiens qui se tenaient à l’entrée orientale du Paradis étaient Gizzida, « Arbre de la Vérité » et Dumuzi « Arbre de Vie », ou bien comme gardiens des deux arbres magiques, ou comme personnifiant eux-mêmes les arbres ». Nindiśzida fut le Dieu (comme nous l’exprimerions en Inde iṣṭa-devata) d’élection de Gudea. Son célèbre vase est dédié à Ningiśzida « pour qu’il ait une longue vie » ; et ici les deux Ughu, couronnés et à queue de scorpion[77], tenant les piédroits de la porte, sont évidemment Giśzida et Dumuzi. Ces derniers correspondent aux Baśmu et Muśhuśśu avec lesquels « Gudea orna[78] les serrures de la porte du temple de Ningirsu », c’est-à-dire Ningiśzida à Ur[79]. À travers la porte nous voyons un pilier, autour duquel s’enroulent deux serpents gardiens, qui forment ainsi un caducée. Il ne fait aucun doute que le bâton du caducée entre les deux serpents est le vestige de cet arbre[80], c’est-à-dire de Ningiśzida (Tammuz, Soma ou Dionysos) lui-même.
Chaque détail de l’iconographie du vase de Gudea est important pour nous. Commençons par les piédroits de la porte : ceux-ci en constituent les éléments littéralement cardinaux ; on remarquera qu’ils sont ornés de demi-anneaux. Les piédroits de ce genre à anneaux, que l’on rencontre par paires ou séparément, se trouvent de part et d’autre d’une porte d’entrée ou en faisant partie intégrante, indiquent l’entrée d’un sanctuaire ou d’autres penetralia, ou encore de parcs pour le bétail[81]. À propos d’un grand piédroit votif à anneau trouvé à Tello, Conteneau souligne « la signification symbolique » que les Sumériens attribuaient aux parties constitutives des portes, et surtout aux piédroits[82]. Dans de nombreux cas le Janitor [Gardien] ressemble à celui que l’on rencontre dans l’épopée de Gilgamesh. Parfois c’est très probablement Gilgamesh qui est représenté en train de franchir la porte des montagnes occidentales à la recherche de son ancêtre Ur-Napistim et du secret de l’immortalité. Dans l’épopée de Gilgamesh (IXème tablette) cette voie menant au pays des Ténèbres est gardée par les hommes-scorpions ; elle conduit finalement au jardin où Gilgamesh trouve « l’Arbre des Dieux ». Sur un fragment en nacre de Tello[83] nous voyons le Héros qui saisit les deux piédroits à anneaux alors qu’l franchit une porte ; alternativement sur l’une des ivoires de Nemrod[84], c’est une paire de serpents qu’il saisit, lesquels sont ou bien les gardiens de la porte, ou bien ce qui revient au même, ses montants mêmes de la porte, et nous constatons sans surprise que les scorpions sont ici remplacés par des serpents. Nous ne pouvons que considérer comme identique le thème d’un autre sceau où le Héros à la forme d’aigle tient dans ses griffes une paire de serpents ; ils sont les gardiens de la Plante de Vie ; à droite un personnage du type Gilgamesh lutte avec un cerf. L’assimilation des piédroits animés avec les serpents qui les gardent ne nous surprendra guère. Car en dehors des allusions littéraires il existe tout un ensemble de représentations de la Porte du Soleil gardée par une paire de serpents souvent ailés ou à cornes. Nous ne devons pas oublier que nous avons affaire à des arbres qui peuvent être considérés également comme des dragons. Les mots de Mme Van Buren, « ou bien comme gardiens des deux arbres magiques, ou bien prenant eux-mêmes la forme des arbres » acquièrent une nouvelle signification si nous réfléchissons que les piédroits avaient dû être, en effet, à l’origine des troncs d’arbre ou des fagots de roseaux. L’explication la plus probante, sur les « anneaux », a été donnée par Andrae, qui les assimile aux volutes de colonnes ioniques et qui voit en ceux-ci les branches fleuries ou les fruits pendants des palmiers[85] ; mais leur forme peut être dérivée d’une autre façon, par exemple de la seiche crétoise[86]. Dans l’une des représentations les plus remarquables de Dionysos Dendritès ou Perikionios les deux anneaux attachés de part et d’autre de l’Hermès représentent d’une certaine façon les bras de la divinité ; et Andrae, fait remarquer qu’en rapprochant les deux piliers à anneau on pourrait les concevoir comme les éléments constitutifs d’un seul pilier avec des anneaux de chaque côté, il aurait bien pu utiliser ce Dionysos afin de confirmer sa théorie. Dans le pilier unique avec des anneaux de part et d’autre, Andrae voit, en plus un symbole de l’unité bipolaire, mâle et femelle, de l’Identité Suprême ; en ces propres termes : « Die Verschmelzung zweier Ringbundeln in Eines ist also eine Notwendigkeit. Sie kann nur die Polarität : MannWeib, die androgyne Einheit, meinen » [La fusion de deux anneaux en un est donc parfaitement logique. Elle signifie assurément la polarité homme-femme, l’unité androgyne] »[87]. En effet, nous avons déjà vu que les « Hommes »-scorpions qui gardent la Porte du Soleil sont de sexes opposés, ce qui est une indication très importante qui s’applique aux deux côtés, à droite et à gauche, de la porte ou de l’arbre, et à toutes les « paires d’opposés », positif et négatif, exprimées de quelque manière que ce soit ; c’est parce qu’effectivement les contraires se rencontrent ou s’entrechoquent, l’un ayant son point de départ là ou l’autre se termine, sans continuité, que la Voie qui passe entre eux constitue la porte « étroite », et que quiconque la prend se trouve « à l’étroit » et sera écrasé s’il n’est pas assez ténu et vif, comme seul peut l’être celui qui est ‘‘dans l’Esprit’’, ātmani carati.
Les piédroits de la porte et leurs gardiens sont ainsi les aspects extérieurement différenciés mais intérieurement unis de l’unique principe, accessible par le passage entre et par-delà leur dualité, comme Nicolas de Cues l’exprime, ultra coincidentiam contradictoriorum. Il faut donc maintenant examiner le caducée lui-même, surtout en son aspect trinitaire, puisqu’il est composé de deux serpents enroulés autour d’un seul pilier unique. Les deux serpents sont de sexe opposé, et le « tiers » entre eux est leur enfant dans lequel leurs natures sont unies. Telles sont du moins les interprétations explicites ou implicites assyrienne, grecque, indienne, chinoise, islamique et chrétienne. Pour l’assyrienne les serpents primordiaux Lahmu et Lahamu (sa femme) engendrent Assur, le Dieu solaire de la sagesse ; ce qui équivaut dans les termes de la théologie babylonienne à Ea (Enki, Oannès) et sa femme Damkina ont engendré Marduk[88]. Dans la version grecque, racontée par Athénagoras, Zeus et sa fille Rhéa (Perséphone) prirent les formes de dragons (serpents) mâle et femelle et « se nouèrent ensemble formant ce qui est nommé le « nœud d’Héraclès », et ainsi s’unirent (συνήσας αυτήν τᾢ καλουμίνὃυ ἤοακλεωτικᾣ ἄμματι έμίγυη) et le symbole de leur union est « la baguette d’Hermès »[89]. Le fruit de leur union fut Zagreus, c’est-à-dire Dionysos. Selon la version de A. B. Cook « Zeus s’unit à sa propre mère, Rhéa, les deux ayant pris la forme de serpents, et eut par elle une fille dotée de cornes, de quatre yeux, et de deux faces, Perséphone ou Korè ; toujours sous forme de serpent il s’unit ensuite à cette dernière, et eut eu un bébé à cornes, le Dionysos chtonien ou Zagreus »[90] – en qui Euripide voyait une divinité asiatique, et que nous identifions à Ningiśzida, Tammuz, Dumu-zi, le « fils fidèle », un archétype du Christ.
En Inde, Soma est « Fils du Ciel » (divaḥ śiśu, Ṛgveda, IX, 38, 5) et comme le dit Śāyaṇa « c’est sa filiation ». Le Ciel et la Terre « sans pieds » (sous forme de serpents) engendrent l’enfant : « Les deux sans pieds (apadī), immobiles, portent le germe mobile et doté de pieds de la multiplicité ; leur fils éternel, pour ainsi dire, dans le ventre de ses parents. « Que le Ciel et la Terre nous gardent du non-être (rakṣatum no abhavāt) ! » S’unissant, (saṃgacchamāne), jeunes (exempts de vieillissement), joints par leurs extrémités (samante), les jumeaux frère et sœur s’embrassent dans le giron de leurs parents, le Nombril de l’Univers – Que le Ciel et la Terre nous gardent du non-être » (Ṛgveda I, 185, 2-5)[91]. Sans aucun doute, les mots « s’unissant » (sexuellement) et « joints par leurs extrémités » font références aux serpents, suggèrent incontestablement un enlacement mutuel à la manière des célèbres Nāga-kals indiens, et du caducée.[92]
En chine, Wang Wen K’ao, écrivant dans la première moitié du IIème siècle après J-C, et rapportant sans doute une tradition beaucoup plus ancienne, dit qu’au commencement, lorsque le Ciel et la Terre furent divisés, Fu Hsi (T’sang Tsing) et Nü-Wa apparurent, lui le corps tout couvert d’écailles, elle avec un buste de femme et un serpent en dessous. Dans l’art tardif des VIIème et VIIIème siècles après J-C. ces derniers, le premier Empereur (mythique) et son épouse, sont représentés dans ces formes semi-divines, semi-ophidiennes (comme les Nāgas indiens), se serrant et s’embrassant ; T’sang Tsing est « l’essence de la végétation » et régnait comme le dit Chavannes : « en vertu de l’élément bois », tandis que Nü-Wa représente « le métal », l’élément qui dans le schéma chinois correspond ailleurs à « l’air ». Comme le remarque Stein, entre leurs têtes se trouve « le disque solaire » et ils sont entourés par d’autres constellations. Si Fu Hsi est en réalité le Ciel et Nü-Wa la Terre, on peut supposer que le Soleil est leur « enfant ». Il existe d’autres représentations où les souverains ne sont pas enlacés mais seulement rapprochés, et rassemblés par les bras d’un homme agenouillé, peut-être à nouveau leur fils[93]. Ce qui est essentiellement la même représentation apparaît sur un manche d’épée chinois, appartenant peut-être à la période Han ; il s’agit d’un masque à cornes, que Jacobsthal qualifie à juste titre de « gorgone » entre un dragon et un tigre[94]. Yetts cite une inscription sur un miroir (n° 28, p.117) ; « Dragon à gauche et Tigre à droite afin de conjurer le mauvais sort ; Oiseau écarlate et Guerrier sombre s’accordent avec le Yin et le Yang ; qu’une longue descendance en soit le fruit ». Plus le Dragons Vert à l’Est et le Tigre blanc à l’Ouest correspondent respectivement aux éléments bois et métal ; et le Dragon vert, lorsqu’il apparaît au Ciel, est le pouvoir qui « préside la revitalisation de la nature » ; Yetts est enclin à l’assimiler au « scorpion »[95]. En tout cas il est clair que le dragon et le tigre du manche de l’épée sont des principes mâles et femelles, et qu’ils peuvent être assimilés à Fu Hsi et Nü-Wa.
Dans l’islam l’iconographie est notre seule source d’informations. Faisant référence à la représentation des Gémeaux sur qalamdan de l’année 608 de l’Hégire qui se trouve au British Museum, Hartner (p 137) fait remarquer que : « si nous songeons que les Gémeaux sont le signe dans lequel la tête de dragon est placée, l’objet curieux qui se trouve entre les deux personnages humains du médaillon des Gémeaux prend une signification étrange. Il ressemble à un masque ou à une tête monstrueuse fixée sur un bâton »[96]. Il semble être à cornes et pour Hartner il s’agit d’une tête de dragon, avec un signe astrologique. Le sens est un peut plus clair si nous rappelons que Tammuz et Ningiśzida, « les deux dieux qui gardent la Porte du Ciel » peuvent presque certainement être identifiés à Castor et Pollux dans les Gémeaux. Nous sommes d’accord avec Langdon lorsqu’il dit « les babyloniens situaient peut-être la Porte du Ciel dans la constellation des Gémeaux »[97]. La tête de dragon, détachée du corps et fixée sur un poteau serait, bien entendu, le Soleil ; et on ne peut s’empêcher de penser au rituel du Pravargya indien, avec ses répétitions de « Car tu es la tête de Makha », en référence au bol chauffé qui est « la tête du sacrifice » et identifié au Soleil ; en effet la tête de dragon qui représente le Soleil acquiert naturellement les traits d’un visage humain. Les Aśvin indiens, les « merveilleux » dieux-jumeaux qui sont les « enfants du Ciel » (Ṛgveda, 182, 1) ont été plausiblement rapprochés des Dioscures[98]. En tant qu’élèves de Dadhyañc (le Dadhikrā védique, cheval du Soleil ou Soma) ils sont versés dans les mystères de Soma et qualifiés de « gardiens de l’immortalité, ou de Soma » (amṛtasya gopau, Taittirīya Brāhmaṇa, III, I, 2, II), et ainsi sont par excellence les « médecins des dieux ». S’il est vrai donc, comme le dit Macdonell, qu’« il faut rechercher l’origine de ces dieux dans l’antiquité pré-védique », il serait naturel de les identifier à Tammuz et Giśzida, les archétypes de Castor et Pollux, et, encore une fois, de reconnaître des formulations mythiques communes aux traditions sumérienne, indienne et grecque. Des sources islamiques peuvent également éclairer le problème annexe d’Hermès, et expliquer pourquoi il porte le caducée comme signe de sa fonction de héraut. Car sur le même qalamdan (Hartner, fig.18, second à partir de la gauche) Mercure-« Utarid », « le scribe » (al-kātib), est représenté avec un parchemin et une plume. Cette conception de Mercure correspond exactement à celle du Nabū babylonien, messager et prophète de son père Marduk, dont l’emblème est un secrétaire et « dont les titres les plus anciens sont Ur et Dubisak ‘‘le scribe’’ » »[99]. Il peut être identifié à son père, et lui ressemble au point où les deux peuvent être représentés ensemble, chacun soutenu par Muśhuśśu, comme sur le sceau de Langdon, où Nabū tient (parmi d’autres attributs) une tablette d’argile, et a devant lui un ciseau de maçon, car il est également architecte. Compte tenu de la proche parenté qui existe entre Marduk et Ningiśzida, allant jusqu’à une identité originelle, il est normal (même si nous ne pouvons en retracer tous les liens) que Hermès se soit vu confié le caducée comme symbole de ses fonctions ; Hermès, à la fois Mercure et Nabū, porte la verge comme marque de sa descente et comme symbole de son autorité. Dans la mythologie hébraïque et juive tardive et, on pourrait ajouter, dans l’angélologie chrétienne, Nabū devient « l’Ange enregistreur [the recording angel] ».
Comme Dionysos, enfant de Zeus et de Sémélé, le Christ est le Fils de Dieu et de la Terre Mère, car on ne peut douter de l’identité de la Madone et de la Terre Mère[100], natura naturans. Ceci est sous-entendu dans la doctrine de la naissance éternelle, laquelle « ne dépend pas d’une mère temporelle », et celle de la divine procession comme « une opération vitale à partir d’un principe conjoint vivant »[101], C’est-à-dire la bi-unité indivise d’une essence et d’une nature, cette dernière étant la « Nature au moyen de laquelle le Père engendre »[102], « la Nature étant le moyen par lequel le géniteur engendre »[103]. Nous ne pouvons guère nous attendre à trouver, dans un contexte chrétien, le concept d’un Sauveur ophidien, ou celui de sa procession à partir d’un « principe conjoint » ophidien : bien que le « serpent d’airain » (sāraph) de Nombres[104] soit en même temps, pour ainsi dire, un Asclépios et un type du Christ, dans le symbolisme chrétien à proprement parlé le « serpent » représente seulement le mal. Et pourtant la représentation du Sauveur dans l’art celtique sous une forme humaine, soutenu (dans un sens héraldique) par des serpents affrontés, est parfaitement justifié ; ainsi que celle sur le reliquaire de Chur où la croix se dresse entre une paire de dragons, noués et enlacés. Dans les représentations irlandaises, et encore dans certaines expressions du motif dans l’art mérovingien et les arts qui lui sont apparentés[105], la tête centrale est bien mise en valeur si bien que la composition est réduite à celle d’un masque entre ou au-dessus de serpents ou de poissons affrontés ou entrelacés. La trinité ainsi représentée est celle de la Sainte Famille.
Dans notre illustration : Lettre Q des Évangiles de Bury St Edmunds, E. H. Minns[106] remarque qu’« elle montre les bêtes ailées affrontées de part et d’autre de l’arbre sacré […] et remonte à travers la Perse sassanienne et achéménienne jusqu’aux Chérubins sumériens encadrant l’Arbre de Vie ». Les « bêtes ailées » auraient pu tout aussi bien qualifier les « bêtes ailées » de Séraphins ou de cocatrix ; leurs queues sont ophidiennes. Sur un vêtement archaïque ionien à Boston, les « bêtes ailées » ont un corps de lion ; et sur l’une des ivoires de Nemrod elles sont des « Sphinx qui passent ou qui sont couchés, qui gardent un arbre sacré »[107], c’est-à-dire des lions ailés à tête humaine.
[1] Dhammapada Atthakathā, IV, pp.129-135. Pour le thème des serpents et des dragons en tant que gardiens de fontaines et divinité de la pluie, voir J P. Vogel, Indian Serpent-Lorg.
[2] An-ottata = an-avatapta : « non éclairé » c’est-à-dire dans le Pays de l’Obscurité, nulle part sous le Soleil : conformément à toutes les traditions ultérieures.
[3] Paṇṇaka : de façon ambiguë, garni de « plumes » (« avec des ailes ») ou de « feuilles » ; un Arbre-Dragon, parna (« aile » ; « plume » ; « feuille »), souvent synonyme de l’arbre palāśa et dans Śatapatha Brāhmaṇa, VI, 5, 11, est identifié au Soma et à la lune.
[4] Jātaka, 493, l’histoire est illustrée sur un relief connu de Bārhut (2ème siècle av. J-C) et à Bodhgayā. Voir. Ananda K. Coomaraswamy, Yakṣa, II, pl. 25, fig. 1, 3. (1931)
[5] British Museum, Babylonian Legends of the Deluge and the Epic of Gilgamesh, p.55, 1920.
[6] H. J. Rose, Handbook of Greek Mythology, p.340d, 1933, résumant Nicandre, Theriaka, p.343 ff. Nicandre a écrit au IIème siècle av. J-C. Langdon, Semitic Mythology, pp.277-278, cite une légende semblable du vol de la Plante par le serpent Aelian et trouve également une référence à cette histoire dans une incantation sumérienne dans laquelle se trouve les mots : « le serpent dans l’eau, le serpent sur le quai de la vie a saisi le cresson : Ô Woe la langue de chien, le cresson qu’elle a saisit ». Il explique que « le mythe explique le rajeunissement annuel du serpent » et s’ajoute aux légendes d’Adapa et de Tagtug, qui est encore une autre légende sur « la façon dont l’homme perdit la vie éternelle » ; celle-ci est symbolisée, dans toutes les traditions que nous étudions, par la mue de l’ancienne peau.
7 Sur le terme Āśīviṣa (lequel survit dans le Bouddhisme en tant qu’épithète d’Ahi-nāga du temple du Feu de Jatila), voir HJAS, IV, 131. Arbuda joue le rôle de grāva-stut dans le sacrifice de Soma mais, à cause de son regard maléfique, il doit avoir les yeux bandés ; c’est mimétiquement que dans le rituel le prêtre grāva-stut dans a les yeux bandés comme protection contre le « mauvais œil ». Voir. Le monstre des amérindiens « les Yeux- étoilés-meurtriers » que le Héros Nayenezzani aveugle (Wheelwright, Navajo Creation Myth, p.54, 1942) et généralement A. H. Krappe, Balor with the Evil, 1927. A. C. L. Brown, Arthur’s Loss of Queen and Kingdom Speculum, 940, et Origin of the Grail Legend, p.233,1943. (Balar, « Un Dieu des morts dont le regard tue) ». Voir. Aussi Polyphème et « le troisième œil » de Śiva.
[8] Dans le Ṛgveda une épithète en général de Śuṣṇa et Rakṣasa, dans Atharva Veda, II, 10,8 et XV, 6, 10, de Varuṇa et de Namuci ; c’est de ses liens que le sacrifiant serait libéré.
[9] Sur le Trita védique voir McDonnel, Vedic Mythology, p.67 f. K. Rönnow, Tripta Āptya, Uppsal, 1927). M. Fowler, Polarity in the Ṛgveda. Rev of Religion, VII, pp.115-125, 1943. En tant que « fils » Trita il peut être assimilé à Agni ou à Soma, ou bien aux deux (agnīsomau) et avec Zeus Tritos (Pantocrator, Sôter, oikophulax). Voir. Eschyle, Les Chœurs, 245 ; Les Suppliantes, 25 et Les Euménides, 759.
[10] Vraisemblablement la « gloire » (yaśas) pour laquelle les dieux sont en rivalité dans Pañca Brahma Upaniṣad, VIII, 5, 6. Voir Śatapatha Brāhmaṇa, XIV, 1 ,1 et la « victoire et la gloire invincibles » gagnées par les dieux dans leurs conflits avec les Asura-Rakṣas (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 4, 2,8). Pour le lien de la « Gloire » avec Soma, voir Digha-Nikāya, II, 249 : « les divinités Vāruṇya avec Varuṇa et Soma avec la Gloire (yaśas) ».
[11] L’archétype de Khwājā Khizr, le Maître au talon vert de la Fons Vitae, qui est souvent assimilé à Élie, voir Ars Islamica, I, p.181, (1924). Comme l’a démontré G. Dumézil, le Gandarewa de l’Avesta et ses congénères sont à l’aise dans les eaux et plus encore « en rapport (hostiles d’ailleurs) avec le monde des morts ». (Le problème des Centaures, p.85 (1929).
[12] Bundahish, XIV, 11 ; XVII, 9 ; XXIV, 29. Zad-Sparam, VIII, 4, 5. Rashn.Yasht, X.
[13] Voir G. Dumézil, Le problème des Centaures, ch. II sur le Gandarewa, etc. (1929). Benveniste et Renou, Vṛtra et Vragna. Paris (1934). L. von Schroeder, Herakles und Indra. Denschriften d.k, Akad.Wiss. pp.43-48. Vienne, 58bd, 3 Abth (1934).
[14] Nicolas de Cues, De Visione Dei, IX, ad fin. Le « mur » de Nicolas de Cues, comme le jidāriyya islamique, voir. Nicholson dans Studies in Islamic Mysticism, p. 95 (1921), et « l’épais nuage » (grec νέπος [nepos] = sanskrit nabha, voir. Nimbus de l’Iliade, V, 751) est celui du Ciel qui sépare ce qui est sous le Soleil de ce qui est au-delà. La signification des « contraires » ou « paires d’opposées » est analysée dans mon article Symplegades (sanskrit : mithasturā). [Trad. Fr. La Porte du Ciel, Paris, (2008)]
[15] Yasht, XIV ; SBE, XXIII.231 ff ; J. Charpentier, Kleine Beiträge zur indo-iranishen Mythologie, p.27. Upssala. (1911).
[16] Voir E. Porter, L’histoire d’une bête, dans la Revue de l’art ancien et moderne, XXVII, pp.419-436 (1910) et Bulletin de Correspondances Helléniques, p.227 (1893). L. von Schroeder, Arishe Religion, II, p. 664 (1923) et plus spécialement K. von Spiess, Die Hasenjagd dans Jahrb, f, Hist, Volkskunds, V, VI, pp. 243 ff (1937). D’Arcy Thompson, Science and the Classics, p.91, citant le Phaenomena d’Aratus, dit que le poème raconte « comment le Lièvre est aperçu sous les pieds d’Orion, et comment chaque jour il est chassé : sans répit Sirius, le Chien, le poursuit à la trace. Et c’est ainsi car chaque matin lorsque le Lièvre se lève, le Chien le talonne, et le talonne encore le soir quand il descend à l’ouest ».
[17] Voir Euphorion, III où le gardien du jardin est un serpent.
[18] Voir. Ananda K. Coomaraswamy, Mediaeval Sinhalese Art, Pl.16 (1908). Un jardin du Paradis avec un Soleil au centre et des arbres en fleurs, des archers-défenseurs, des oiseaux et des lapins voleurs. Pour ce motif voir les propos admirables de Karl. Von Spiess : « Der Schuss nach dem Vogel » dans Jahr, f, Hist, Volskunde, V, VI, pp.204-235 (1937).
[19] Donc notablement le Paon, Ṛgveda, I, 191, 14.
[20] Voir Apulée, Métamorphoses, IV, 33, où Cupidon est décrit comme « n’ayant pas reçu le jour d’un mortel », sed saevum atque vipereumque malum, qui pinnis volitans super aethera, et (ibid. V, 17,18) comme un serpent venimeux « aux anneaux formant de nombreux nœuds » (multinodis voluminibus) par lesquels elle (Psyché) sera dévorée. L’Amour et la Mort sont une seule divinité (Voir les références dans JAOS, 60, 47) ; en conséquence le véhicule du dragon (makara) et sa représentation sont communs à Varuṇa et à Kāmadeva. (Voir Bulletin n°202, An Indian Crocodile. 1936). Les « redoutables Chérubins » sont aussi des « Amours », et Cupidon est à juste titre représenté comme un chérubin.
[21] Voir Ananda K. Coomaraswamy, Ātmayajña : Le sacrifice du soi et Sire Gauvain et le chevalier vert : Indra et Namuci, [Trad. Fr. La doctrine du sacrifice, Paris, 1978]
[22] Ce sont « le lion et l’agneau qui dormiront ensemble ». Inutile de dire que la doctrine du ‘‘par-delà le bien et le mal’’ est enseignée depuis des millénaires, et ne fut pas inventée par Nietzsche ; ni qu’elle n’annule pas la validité de leur distinction ici et maintenant !
[23] Je suis en désaccord complet avec la remarque de Frankfort (p.135), selon laquelle « l’esprit primitif » appréhende tout « concrètement », conçoit par exemple la « vie » et la « mort » comme des objets, dans le texte suivant : « […] les dieux, en créant les mortels, ont attribuèrent à l’homme la Mort, mais gardèrent en leur possession la Vie ». (R. C. Thompson, Épopée de Gilgamesh, p.46). Il est inutile de dire que les symboles avec lesquels nous pensons sont nécessairement, autant pour nous que pour le « primitif », des choses concrètes, des visibles représentant des choses invisibles (voir. Epître aux Romains, I, 20). L’hypothèse est tout à fait injustifiée (et contraire à tout ce que nous savons des qualités abstraites et algébriques de la mythologie et de l’art primitif) d’affirmer qu’en utilisant des termes concrets, le « primitifs» ne fait référence qu’à des choses concrètes. Il s’agit de la même erreur quand nous qualifions les premiers philosophes ioniens de « naturalistes », oubliant que la « nature » dont parlent les philosophes grecs n’est pas notre natura naturata, mais la natura naturans, creatrix. Comme l’exprime Edmund Potter (et d’autres citations innombrables d’anthropologues pourraient l’étayer) « à l’origine toute représentation graphique répond à une pensée ; […] plus tard […] en bien des cas, le sens primordial est obscurci, atténué ou étouffé par l’élément décoratif » (Céramique peinte de Susa, p.52 (1912). De même Walter Andrae, Die Ionische Säul, Bauform oder Symbol, p. 65) : « Sinnvolle Form inder Physisches und Metaphysisches ursprünlich polarish sich die wage hielteb, wird auf dem Wege zu uns her mehr und mehr entleert ; wir sagen damn: sie sei ‘‘Ornament’’ (1933) [ « La forme significative, dans laquelle la polarité du physique et du métaphysique s’équilibrait à l’origine, a été de plus en plus vidée de son contenu avant d’arriver jusqu’à nous, si bien que nous disons désormais : ‘‘ ceci est un ornement’’ »]. C’est notre monde qui est celui d’une « réalité appauvrie » et des significations oubliées.
[24] H. L. Frankfort, « Le Griffon Crétois […] » ; Ann, Brit, School at Athens, XXXVII, pp.106-122 (1936-37).
[25] La caractéristique essentielle et distinctive d’un « dragon » est son regard maléfique, comme le suggère la racine (grec Δερκ [derk] = sanskrit dṛś, [« voir »] dṛg-viṣa : « regard empoisonné » ; dṛṣṭi-bana : « regard de flèche », « sournois » : dṛṣṭi-doṣa : « mauvais œil »). Nous avons tendance à nous représenter les dragons comme des sauriens quadrupèdes plutôt que comme des serpents, et à voir en tout monstre ailé est un dragon ; mais dans les sources grecques un « dragon » signifie souvent, sinon toujours, un serpent (voir. Iliade, XXII, 93-95 : « Comme un serpent […] plein de rage […] regarde d’un œil effrayant » » ; Euripide, Les Bacchantes, 1017-1026 et Ion, 21-26). Le même « mauvais œil » caractérise les Nāgas indiens, que nous les appelions dragons ou serpents. Arbuda doit avoir les yeux bandés (Aitareya Brāhmaṇa, VI, I), et le Nāga de Campeyya « dont le regard pouvait réduire une ville en cendres » ferme de lui-même les yeux quand il ne veut pas nuire (Jataka, IV, 457, 460). De nombreux philologues font analogiquement dériver ὄφις [ophis : serpent] de la ὄπ [op– voir].
[26] A cet égard il est intéressant que Dante (Enfer, XXV, 17-24) décrive Cacus (le voleur habitant une grotte qui récupéra une partie du bétail capturé par Héraclès à Géryon, mais qui fut tué par Héraclès, voir Virgile, Énéide, VIII, 190ff.), comme un centaure avec de multiples queues de serpents et « sur ses épaules, derrière la tête » (suggérant un type bicéphale) un dragon ailé, crachant du feu ; donc quasiment identique formellement à Marduk combiné à celle de Muśhuśśū.
Les descriptions de monstres composites abondent dans les sources grecques, parmi lesquels le centaure Nessus ; qu’Apollodore le qualifie d’Hydre au sang venimeux est important pour notre iconographie, car cela implique précisément ce mélange d’attributs humains, chevalins et ophidiens que nous étudions. Euripide dans La folie d’Héraklès, 880, 881, qualifie l’Hydre de Lerne aux multiples têtes de « chien » meurtrier. Taureau, dragon polycéphale, et lion flamboyant sont des formes du seul et même Dionysos (Euripide, Les Bacchantes, 1017-1019). Berose, écrivant en grec à Babylone vers 280 av. J-C, décrit une grande variété de monstres primitifs,, parmi lesquels certains combinent les formes d’hommes et de chevaux à queue de poisson, et de chiens à queue de poisson (équivalent, probablement, à « queue de serpent », les « serpents » et les « poissons » étant souvent synonymes dans notre mythologie) ; mais des buffles d’eau à queue de poisson paraissent en Inde au IIème siècle av. J-C. Voir Ananda K. Coomaraswamy, Yakṣas, II, pl.43, Fig.2 (1931). Il est également significatif que les centaures et les serpents de Dante appartiennent à la région de l’Enfer où sont punis les voleurs et les escrocs.
[27] Les références classiques aux « nœuds » des serpents incluent Apulée, Métamorphoses, V, 17 : coluber multinobis voluminibus serpens et V, 20 noxii serpentis nodum cervicis et capitis (ici nodus doit signifier
« Joint ») ; Virgile, Énéide, V, 279 nixantem nodis seque in sua membra plicantem ; Athénagoras, deux serpents noués ensemble. Pour les références indiennes voir Ananda K. Coomaraswamy, Sarpabandha, Trad. Fr. La doctrine du sacrifice, Paris, 1978. Ainsi que Saṃyutta-Nikāya, I, 134, 135 ; Vikramacarita dans HOS, 26, p.XCI. Et aussi Lois de Manu, VIII, 82 : « les entraves de Varuṇa » glosées par «liens de serpents ».
Nous ne pouvons citer aucune référence classique ni en provenance des débuts de la civilisation indienne attestant qu’on ait jamais conçu le corps d’un serpent comme effectivement noué ; il s’agit toujours de deux serpent entrelacé.
[28] Provenant du tumulus (kurgan) de Litoj, ouvert en 1763, et qui se trouve maintenant dans le musée de l’Hermitage, voir E. H. Minns, Scythians and Greeks, pp.171-172 et Fig. 65-67 (1913).
[29] La minuscule reproduction photographique du zodiaque circulaire dans C. Boreux, Guide-Catalogue, Antiquités Egyptiennes (Musée du Louvre), I, p.XIX (1932) est meilleure que le grand dessin du zodiaque dans la description de l’Égypte (généralement connue comme « Antiquités »), Vol, IV, pl.21 (1822). Pour une description générale de Dendérah, voir. Egypt, p.261ff (1929) de Baedeker
[30] L. W. King, Boundary Stones, pp.19-23 et pl. XXIII-XXX (1912); Babylonian Expedition of the University of Pennsylvania, vol.14; M. Jastrow, Bildermappe […] p.7 et fig.33 ; A. Jeremias, Altorientalische Geistesgeschichte, fig.127.
[31] Ibid. fig.146.
[32] H. Frankfort, Seal Cylinders, pl.XXI f, daté de 1450 ans av. J-C dans son index chronologique. W. Schaefer et W. Andrae, Kunst des Alten Orients, p.548.
[33] C. W. Blegen, Prosyma, p.277 et fig.589 (1937). Le sceau est daté de « la fin de la période Helladique III », c’est-à-dire avant 1100 av. J-C).
[34] W. H. Ward, Seal Cylinders of Western Asia, fig.21, University of Pennsylvania Babylonian Expedition, vol. 14, p.15; P. V. C. Baur, Centaures in Ancient Art, fig.2 (1912).
[35] P. V. C. Baur, loc.cit. Je ne peux évidement pas accepter le point de vue de Baur quand il dit que les légendes évoquées dans l’art géométrique grec étaient « d’ordre purement décoratif » et que ce serait « ce type d’art qui les auraient occasionnées». L’art primitif n’est jamais insignifiant ou seulement « décoratif » au sens moderne où on l’entend. (Voir Ananda K. Coomaraswamy, « Ornament », Art Bulletin, XXI (1939) ; les mythes ne sont pas non plus des « inventions poétiques », mais plutôt comme le dit Euripide : « ce mythe n’est pas de moi, c’est ma mère qui me l’a transmis. » Même Frankfort est conscient que « les symboles divins […] sont basés sur quelque chose de plus précis qu’une comparaison poétique » (Seals Cylinders, p.95).
[36] Marduk comme Janus, a quatre yeux. Voir. Langdon, Semitic Mythology, pp. 68, 69-294. Tout comme en Inde où le Soleil est aussi la Mort (Śatapatha Brāhmaṇa, X, 5, 2, 3, 13) de même Marduk est assimilé à Nergal, la Mort qui comme le Yama indien, « est souvent qualifié de dieu jumeau », et dont le symbole est « deux têtes de lions, dos à dos, regardant à droite et à gauche ». Dans la construction de l’Autel du Feu indien, la plaque d’or (garnie de 21 bosses, figurant des rayons) représentant le Soleil (le disque solaire) est posée face vers le bas, car le Soleil brille en bas ; on pose dessus la figure de l’Homme d’Or, la Personne résidant dans le Soleil, face tournée vers le haut « de sorte que l’un regarde de ce côté-ci, et l’autre détourne le regard d’ici » (Śatapatha Brāhmaṇa, VII, 4, I, 10, 17, 18) – autrement dit, et de façon plus naturelle, l’un regarde à l’extérieur l’autre à l’intérieur plutôt qu’à droite et à gauche, bien que les sources sanskrites affirment catégoriquement que le Gardien du solaire soit tourné en réalité en tous sens et voit toutes choses. Pour le type Janus, voir. également P. Le Gentilhomme, Les Quadrigal Nummi et le dieu Janus dans la Revue de Numismatique, IV, ch. III (1934) ; Les doubles têtes dans l’art asiatique ; G. Furlani, « Dèi e démoni bifronti e bicefalli dell’Asia occidentale antica », Analecta Orientalis, 12, pp.136-162 (1932) ; R. Guénon, « Le symbolisme solsticial de Janus », repris dans Symboles fondamentaux de la Science sacrée.
[37] Ce « sabot fendu » est peut-être être plus significatif qu’il n’y paraît. P. N. Krieschgauer, « Die Klapptore am Rande der Erde in der altmexikanischen Mythologie und Beziehungen zur Alten Welt [« La Porte Battante aux Confins de la Terre dans la mythologie de l’ancien Mexique et quelques liens avec l’Ancien Monde »] », Anthropos, XII-XIII, pp.272-312 (1917-1918), montre, en se référant à la figure d’un quadrupède à queue de serpent, doté de sabots fendus (p.278 et abb, 2a) qui selon ses propres mots : « mit deutlichen Symplegaden–Hackern ausgestatte » [« clairement pourvu de talons de Symplégades »], qu’il faut considérer ceux-ci comme signifiant la Porte Active.
[38] Le type est à toutes fins pratiques une illustration du texte, Les Psaumes, XVIII, 10 : « Il chevaucha un chérubin et vola, il plana sur les ailes du vent ».
[39] A. Moortgart, Vorderasiatitische Rollsiegel, n° 595 (1940), le sceau de Ninurta-bel-asur ; S. Langdon, Semitic Mythology, fig.81.
[40] O. Weber, Altorientalische Siegelbilder (1920) dans la Pierpont Morgan Library, et non pas au Metropolitan Museum of Art, Ward, N° 565.
[41] Moortgart n° 616 (il faut remarquer que Moortgart confond toujours l’aquilin Zū avec Tiamat).
[42] Frankfort, Seal Cylinders, pl. XXIVa, d.
[43] Sur le Kudurru de Meliśipak : « le trône de Marduk avec une lance est supporté par le dragon qu’il soumet dans sa victoire sur Tiamat » (Langdon, Semitic Mythology, p.137).
[44] Langdon, Semitic Mythology, p.129 ff ; Frankfort, Seal Cylinders, p. 216 ; Moortgart, N° 680, 681 (Vorderasiatitische Rollsiegel, pl.180) sont du même type. Langdon se trompe complètement en assimilant Muśhuśśu et Azhi (= Ahi) à Zū, qui n’est certainement pas la ‘‘dent empoisonnée’’ de l’Hymne à Ninurta, p.129, mais l’un des hôtes de Tiamat (Voir BM, Sept tablettes, IV, 53), et probablement Muśhuśśu. On peut difficilement identifier le dragon avec ce même Zū contre lequel Marduk et le dragon se battent. Le Dieu de l’Orage qui, comme Marduk, chevauche le dragon ou est conduit sur un char tiré par des dragons, que l’on voit sur tant de sceaux, est seulement un autre aspect de Marduk lui-même, qui est explicitement qualifié de « conducteur du char des orages » (British Museum, Babylonian Legends, Sept Tablettes, II, 118, IV, 50 pp.46, 56).Voir Langdon, fig.56.
[45] Fankfort, Seal Cylinders, p.122, fig.XXIII j ; C. H. Gordon, The Living Past, seal 14, pp.124-125 ; Weber, Altorientalische Siegelbileder, N° 347; J .H. Levy, The Oriental of Herakles, in JHS, 54, fig.1 (1934) (un héros en conflit avec l’Hydre à cinq têtes et un dragon à queue de scorpion).
[46] E. Herzfeld, Arch Mith aus Iran, II, pl.XII (1930) ; A. Moortgart, Die Bildenden Kunst des Alten Orients, pl.LXXXII (1932).
[47] Pour ces types, voir. Weber, Altorientalische Siegelbilder, n° 349 et Moortgart Vorders Rollsiegel, pl.82 où l’homme-scorpion du n° 696 correspond au Muśhuśśu avec des cornes n° 689-695.
[48] G. H. Gordon, loc. cit. p.125.
[49] Langdon, Semitic Mythology, pp.129ff ; E. Siecke, Drachenkämpfe (1907). Voir Ananda K. Coomaraswamy, Anges et Titans, note 24, Trad. Fr. La doctrine du sacrifice, Paris, 1978. L. von Schroeder, Heracles and Indra, Denkschriften, d, k Acad Wiss, Wien28, 3 and 4 (1914). L. Von Schroeder (3, p.92) à propos d’Atlas, qui, en tant qu’il maintient séparés le Ciel et la Terre (Pausanias), ce qui correspond au skambha [« pilier, Axe du monde »] (Atharvaveda, X, 8, 2) indien et à l’ātman (Chāndogya Upaniṣad, VIII, 4, 4), et de ce point de vue joue le rôle d’Indra, il fait remarquer que « Alle dieser Mythen weisen, wie nir scheint, auf einen Urmythos zuruck [Tous ces mythes renvoient, me semblet-il, à un unique mythe originel] ». En effet, c’est seulement dans la mesure où cet Urmythos œcuménique a été que l’iconographie de ses disjecta membra, largement dispersés, peut être pleinement comprise. F. M. Cornford, A Ritual for Hesiod’s Theogony, a rapporté dans JHS, LX, p XI (1940) « On retrouve l’ouverture de la Brèche [« gap » ; grec Chaos) dans le mythe d’Hésiode où elle est figurée par l’écartement forcé d’Ouranos et de Gaïa par Chronos […] bien que les événements, bien que flous, concordent visiblement avec les exploits de Marduk dans l’Hymne de la Création babylonien (dénommée par erreur, « épopée »). Des références à la séparation du Ciel et de la Terre, originellement unis, abondent dans le Ṛgveda et dans beaucoup de mythologies.
[50] Notamment dans Dhammapada, II, 257-258 où Dhattarattha est le roi des Gandhabbas, mais aussi (avec Erāvana) classé parmi les dragons (nāgas), tels que les aigles qui en sont la proie. Par contre dans Sutta-Nipāta, 379 : nāgarāja erāvano nāma, « nāga » reste ambigu.
[51]Les références sont sommaires dans J. Ph. Vogel, Indian Serpent-Lore, pp.212-214. Une preuve supplémentaire pour l’éléphant et le reptile peut être citée dans le fait qu’à Bhārhut et à Amarāvatī ; l’éléphant, Yakṣa, le vase plein et makara (« crocodile », le véhicule de Varuṇa = le « poisson-bélier » d’Ea) sont une Source de Vie interchangeable. Voir Ananda K. Coomaraswamy, Yakṣa, II, (1931) comparant pl.11, fig.1 et pl.37, fig. 4 avec les pl. 38, 42, fig. 1.
[52] Une réserve peut être faite en référence à l’image remarquable de Mathura décrite par J. Ph. Vogel, La sculpture de Mathura, p.46 et pl. XXXIX (1930), où la figure anthropomorphique est identifiée à Indra avec sa couronne typique (kirīta) et le foudre (vajra). Un carquois plein de flèches ayant des têtes de serpents est porté, et encore plus remarquable, la tête et les épaules sont entourées de figures de Nāgās semi-anthropomorphes. L’une tient une coupe et deux autres jaillissent des épaules. Il s’agit d’une représentation d’Indra en tant qu’archer-dragon.
[53] Ṛgveda, X, 113, 8 : vṛtramahim [...] āvayat ; Taittirīya Saṃhitā, II, 4, 12, 3 : anariṣyāvaḥ ; Śatapatha Brāhmaṇa, I, 6, 4 (grasitva, Indra ici étant le Soleil et Vṛtra la Lune, comme Marduk et Tiamat, voir. Pauly-Wissowa, s, v, Sterne, p.121 et Jeremias, Hdbk Altor Geitesgeschichte, p.29).
[54] L’embrasement de Vṛtra par Agni, qui consume ainsi son « mal » dans Śatapatha Brāhmaṇa , XI, I, 5, 8, correspond à la fois aux représentations sur les sceaux et à l’incendie de l’Hydre de Lerne par Iolaus, au profit d’Héraclès. Dans certains contextes la gravure concerne expressément les « seize anneaux » en lesquels Vṛtra enchevêtre Indra (Taittirīya Saṃhitā, II, 4, 1, 6 et V, 4,5, 4).
[55] Le repas est eucharistique et, en accord la pensée cannibale, confère nécessairement le consommateur des pouvoirs de l’objet consommé : « ce qui est mangé est appelé désormais par le nom du mangeur, il n’est plus appelé par son propre nom » (Śatapatha Brāhmaṇa, X, 6, 2, 1), car « ce qui est reçu dans autre chose fait partie désormais du récipiendaire » (Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Supplément, 92, 1). Il ne faut jamais oublier que « Soma fut Vṛtra » (Śatapatha Brāhmaṇa, passim), et est la victime sacrificielle.
[56] Par conséquent, en tant que « grâce » avant le repas, on devrait dire ‘‘Allumons le feu’’ (samintsvāgnim), la référence à Agni-Varuṇa, Varuṇyāgni de Aitareya Brāhmaṇa, III, 4 (voir. Taittirīya Saṃhitā, V, 1, 6, 1), celui que l’on ne peut toucher sans risque, celui dont on « doit être un ami » (Mitra) ; « il est véritablement des dieux le plus vorace […] En vérité, si quelqu’un mangeait alors que le Vorace ne mange pas, ce dernier risquerait de se fixer sur lui (abhisaṅktoḥ) comme un serpent ». Alors, quand le repas est annoncé, on doit dire : « Que notre supérieur soit couvert [pariveṣṭavai, pari-veṣṭ– « couvert », « embrasser »] en premier » (Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, II, 15). Voir. Mahābhārata, II, 40 agniṃ vatreṇa pariveṣṭayam).
[57] Langdon, Semitic Mythology.
[58] Des références complètes au sujet des types d’éléphants volants et sa littérature se trouvent dans Ananda K. Coomaraswamy, Catalogue of the Indian Collections, VI, Mughal Painting, pp.90-93, Boston (1930), auquel on peut ajouter Dhammapada, A, I, 164 où un oiseau-éléphant céleste (hastinliṅga sakuṇo ākāśeno gacchantaḥ) emporte une femme. Un glossaire y est incorporé expliquant que « ces oiseaux » sont aussi forts que cinq éléphants et peuvent donc transporter leurs victimes dans les airs afin de les faire dévorer à loisir. Dans les branches de leur arbre, dans ce cas un nyagrodha. Il s’agit de leur coutume, rester vigilant (oloketi) sur le chemin qui conduit à leur demeure. L’oiseau-éléphant est un Défenseur et ne doit pas (comme par erreur dans mon Catalogue) être identifié au Simurgh ou au Garuḍa, le Héros.
[59] Ward, 580, Langdon, Semitic Mythology, p.82.
[60] Langdon, ibid. pp.279, 283. Le « rapprochement astronomique est douteux ». Zū = Pégase, comme Śyena (et) Suparṇa indien = Dadhyañc.
[61] Moortgart, 706. Voir. Weber, Altorientalische Siegelbilder (1920).
[62] MFA, 41, 479, H. H. Von der Osten, Ancient Oriental Seals, the Collection of Mrs Agnes. Baldwin Brett, p.55 et pl.VI N°129 (1936). Pour les types des candélabres de l’Arbre de Lumière, voir. L. Legrain, Culture of the Babylonian, n° 594, 598, 845 (1925); Frankfort, Seal Cylinders, pl.XXIIIa et XXXVd ; Weber, Altorientalische Siegelbilder, 328, 336, 475, 476, 477, 481 (1920).
[63] L’homme-scorpion fait partie de la progéniture d’Ummu-Khubur comprenant des serpents et d’autres monstres que Kingu, son fils premier-né commande. (British Museum, Babylonians Legends of Creation, 3ème tablette, 23-26. 1931. Plus tard Kingu (voir Frankfort, Seal Cylinders, p.156) est sacrifié pour la création de l’homme (6ème tablette, 19-26) ; il peut être comparé à l’Ahi (Vṛtra) indien, « le premier-né des serpents, ou des dragons », tué par Indra (Ṛgveda, I, 32, 1-4). On a trouvé des figurines en argile et en bois représentant des hommes-scorpions, des chiens tachetés, de Muśhuśśu, et d’Ugallu etc., enfouies près des portes d’entrées de maisons babyloniennes, avec une intention manifestement apotropaïque. (L.C. Wooley, Babylonian Prophylactic Figures, JRAS, 689. 1926). E. Pottier qualifie les scorpions de « fétiches protecteurs » (Délégation en Perse, XIII, Céramique peinte de Suse, p.58). Le souvenir d’un archer-scorpion survit certainement dans σκορπίος [skorpios], une machine de guerre permettant de lancer des flèches (Plutarque, Marcellus, 15). Εκορπίο-μάϰος [Skorpio-machos] (Aristote, Mirab, 139) = άκρίς [akris] = gryllus (latin) peut-être mis en parallèle avec όφιο-μάϰης [ofio-machès] de la Septante et de Philon (voir dans HJAS, VI, pp.393-398. 1942). Et selon nous l’ « adversaire du scorpion », comme « l’adversaire du serpent », n’était pas une locuste ni une sauterelle mais un ichneumon. Pour grylli (« grillon ») au sens mythologique en tant que symbole magique, voir. A. Roes, New Light in Grylli dans JHS, 55 (1935) ; W. Fraenger dans Jahrbuch, f, Hist, Volkskunde, II, pp.128-130 (voir spécialement fig. 1. 1926) ; J. Hackin, Recherches archéologiques à Begram, pp.21, 22 (Exemples indiens. 1939).
Dante (Enfer, XVII) décrit Géryon « à la queue pointue » essentiellement comme un homme-scorpion ; il a la face d’un homme juste, tout le reste est ophidien, et « toute sa queue s’agitait dans le vide, en tordant vers le haut la fourche vénéneuse qui en armait la pointe comme un scorpion » [trad. J. Risset]. Les textes indiens en lesquels les scorpions sont associés à des serpents sont : Ṛgveda, I, 191, 16, Atharvaveda, X, 5, 9, 15 et XX, I, 46, Śāṅkhāyana Āraṇyaka, XII, 27.
[64] Ward, 630
[65] Frankfort, Seal Cylinders, p.156.
[66] C. L. Wooley, Ur Excavation, II, pl.105.
[67] Langdon, Semitic Mythology, p.209. Voir. British Museum, Epic of Gilgamesh, p.50. (1920).
[68] Bṛhaddevatā, I, 74; Nirukta, VII, 4.
[69] British Museum, Babylonian Legends of the Creation, p.39 (1931); Langdon, Semitic Mythology, p.294.
[70] Mrs. van Buren, The God Ningiśzida, Iraq, I, Frankfort, Gods and Myths on Sargonid Seals, ibid. Seals Cylinders, p.119 f, passim; Langdon, Semitic Mythology, pp.131, 136 et Tammuz and Ishtar, p.116. Ningiśzida correspond à la constellation de l’Hydre, Siru ou Siris, et “des inscriptions prouvent que par le serpent, le dragon et le lion, la constellation de l’Hydre et du Lion était connue» (Jeremias, Altorientalische Geitesgeschichten, p.288, fig.133. Voir. Langdon, Semitic Mythology, fig.89 ; F. X. Kugler, Sternkunde und Sterndiens, I, p.125 (1909). Un excellent exemple du type Lion-Verseau, « lion solaire à queue de dragon » (Hartner, p.144) se trouve en Grèce sur des fibules des VIIème – VIème siècles av. J-C. (Ch. Blickenburg, Fibules grecques et orientales, pp.280-281, fig.319 (1926), et ce type survit dans l’art de l’Islam (Hartner, fig.23). À propos des représentations islamiques des Quatre Évangélistes (Hartner, fig.18, Survey of Persian Art, pl.853b) c’est le taureau de saint Luc, et non le lion de saint Marc auquel est attribuée la queue nouée. L’attribution de la queue nouée de serpent à l’éléphant ailé du tapis moghol est tout à fait conforme, comme expliqué ci-dessus. Dans C. J. Hygin, Poeticon astronomicon, Venise, 1482, c’est le Capricorne qui a la queue nouée ; le Sagittaire est cornu.
[71] Frankfort, Gods and Myths on Sargonid Seals, Iraq, I, pp.16, 17, 27. Sur le premier monothéisme, voir. Seal Cylindrers, p.112 ; Langdon, Semitic Mythology, p.93 ; W. von Soden, Götterspaltung und Göttervereinigung (1933), et plus généralement W. Schmidt, Origin and Growth of Religion (1935). En Inde aussi l’apparition du polythéisme est sans aucun doute un développement secondaire ; dans le Ṛgveda, par exemple, Gandharva et Yakṣa sont au singulier et seulement plus tard deviennent pluriels. Voir Ananda K. Coomaraswamy, Vedic « Monotheism » dans JHI. XV.
[72] Voir Ananda K. Coomaraswamy, Sire Gauvain et le chevalier vert ; Indra et Namuci, Trad. Fr. La doctrine du sacrifice, Paris, 1978.
[73] Pour Asclépios, voir. J. Harrison, Themis, pp.381-384 et H. J. Rose, Handbook of Greek Mythology, p.139 ; Langdon, Semitic Mythology, pp.79. Varunā-amṛtasya gopā Ṛgveda, VIII, 42, 2, bhiṣajaṃ pati, Vājasaneyī Saṃhitā, XXI, 40. Identifié au Soma dans Ṛgveda, IX, 77, 5 et IX, 95, 5; Taittarīya Saṃhitā, VI, I, II (Sāyaṇa, somo varuṇo bhavati) et Langdon, Semitic Mythology, p.77 f, ainsi que les formes égyptiennes d’Asclépios.
[74] Weber, 394, voir Moortgart.
[75] Ningiśzida est donc l’archétype de Zohak (= Azhi Dahaka) de l’épopée perse.
[76] Voir. Langdon, Sumerian Epic of Paradise, p.42 (1915), où les deux Janitors, Tammuz et Giśzida voient et questionnent Adapa, le présentant à Anu et intercèdent en sa faveur. Bien sûr, ils doivent être identifiés aux deux hommes-scorpions, dont ils retiennent le dard. Ailleurs, les deux mêmes Janitors sont représentés par des types Gilgamesh, purement anthropomorphiques, par exemple, Moortgart, Vorderasiatische Rollspiegel, fig.99. (1930).
[77] Ou plutôt à queues de serpent se terminant par des dards de scorpion.
[78] « Orné » est ici le mot juste [En français dans le texte], selon le sens originel et approprié de ce mot. Voir Ananda K. Coomaraswamy, « Ornament », Art Bulletin, XXI (1939).
[79] Langdon, Semitic Mythology, p.127.
[80] Voir J. Boulnois, Le caducée et la symbolique du serpent, pp. 46, 166 (1939).
[81] Afin de ne pas trop rallonger cet article nous n’avons pas considéré ici le point de vue selon lequel l’Autre monde est représenté comme une « étable », dont le Héros libère le bétail, le ravissant à son propriétaire d’origine, motif représenté dans la tradition grecque par l’exploit d’Héraclès qui enlève le bétail de Géryon (nous avons identifié ailleurs celui-ci avec le Gandharva indien tricéphale, voir JAOS, 60, 50, fin de la note 12) ; est très caractéristique dans la tradition védique et survivant jusque dans le bouddhisme.
[82] Manuel d’Archéologie Orientale, pp.588, 589, voir 321 et 622-623 (1927).
[83] L. Heuzey, Catalogue des Antiquités Chaldéennes, N° 232, voir I, p.125 (1902). Musée du Louvre.
[84] Weber, Altorientalische Siegelbilder, n° 275, dans le style assyrien. Voir dans Iraq, II, p.189, fig.2 un ivoire de Nimrud qui d’un point de vue iconographique est similaire, mais dans un style quasi égyptien.
[85] W. Andrae, Das Gotteshaus un die Urfoemen des Bauens, pp.49, 50. Berlin 1930 ; Die Ionische Säule, bauform oder Symbol. Berlin. 1933. La lecture d’Andrae ne doit pas nécessairement être interprétée comme excluant l’utilisation pratique des anneaux métalliques, comme l’a déduit Alexander. zu. Eltz, “Nomadic Tradition in the Prehistoric Near East”, Bull, A, Inst for Iranian Art and Archeology, V, pp.73-70 (1937).
[86] Sur ce sujet, voir. Ananda K. Coomaraswamy, La doctrine tantrique de la Bi-Unité divine, Trad. Fr. Aspects de l’Hindouisme, 1988, et Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel, 1985. H. R. Zimmer, Śrī-Yantra Śiva–murti dans Rev of Religion, Nov 1943.
« Non pas que l’Un soit deux, mais que ces deux ne soient qu’Un » (Hermès Trismégiste).
[87] W. Andrae, Schrift und Bild dans Analecta Orientalia, 12, p.5. Rome. 1935.
[88] Seven Tablets of Creation, I, p.78f; British Museum, Babylonian Legends of Creation, p.38 (1938); Langdon, Semitic Mythology, pp.103, 291-293 (1931). Dans les versions antérieures sumériennes et akkadiennes, les parents de Ningiśzida sont Ninazu (le Dieu-soleil se couchant) et Ereshkigal (la Déesse-terre), ou encore Nergal (le Soleil représentant la Mort) et Ereshkigal, dont la forme était ophidienne, et qui, comme Ningiśzida lui-même été assimilée à la constellation de l’Hydre ; l’histoire de la querelle de Nergal suivie de son mariage avec sa sœur Ereshkigal correspond au mythe indien de Yama et Yamī (Ṛgveda, X, 10, 10 ; JUB, I, 53 f), la sœur étant dans les deux cas l’instigatrice (Langdon, op.cit, pp.163-165). Toutes ces histoires qui racontent le mariage du Ciel et de la Terre sont des variantes de la même Liebesgeschichte Himmels [Histoire ‘amour du Ciel].
[89] Athénagoras, Supplicatio pro Christianis, 16, 5. Le texte est cité ensemble avec d’autres, par L. Stephani dans Compte-rendu de la commission archéologique. 1880. Saint Petersbourg. 1882. Ensuite analysé par B. Segall, Katalog der Goldschmiede-Arbeiten, pp.86, 118. Benaki Museum. Athènes. 1938, en lien avec un bracelet sur lequel le sujet est représenté. J. Boulnois, loc cit. A. L. Frothingam, Hermes, Snake-god, caduceus. AJA, pp.179 ff (1916). Van der Osten, The Snake symbol and the Hittite twist, AJA, 3O, pp.405-417 (1926). A. B. Cook, Zeus, II (1929). Daremberg et Saglio, s;v, nodus. Rischer, Lexicon, s.v Zagreus. De Waele, The Magic Staff in Graeco-Roman Antiquity, La Hague (1927). Ce dernier est trop attaché à une interprétation esthétique de la forme et ignore Athénagoras, et oublie que comme B. Segall le dit : “in der Antike noch keine Moden ohne Sinn gab”. Fait important, chez Homère, le bâton du héraut n’est pas un kerukeion [insigne d’un héraut] ou rhabdos [baguette] mais un « sceptre » qui a une efficacité magique, fourni directement ou indirectement par Zeus, et donc probablement un keraunos (= sanskrit vajra) et qualifié pour cette raison nommé tripetalos [à trois dents].
[90] A. B. Cook, Zeus, II, 1029. Il fait aussi correspondre Zagreus au Zeus chtonien, qui, d’après, Hermès Trismégiste (Asclep, III, 27) règne sur la Terre et la Mer : « C’est lui qui fournit la nourriture aux créatures animées mortelles et les arbres fruitiers ; et c’est par son pouvoir que les fruits de la terre sont produits ». Marduk = Tammuz = Gilgal. Langdon, Semitic Mythology, pp.156-157.
[91] Le « germe » peut être ici le Soleil, le Feu ou encore le Soma. Dans certaines versions de l’histoire Agni et Soma sont libérés ensemble de la gueule de Vṛtra (Taittirīya Saṃhitā, II, 5, 2). Presque tout ce qui peut être attribué à Agni, peut être attribué à Soma, avec une distinction fondamentale, le sec est propre à Agni et l’humide à Soma (Śatapatha Brāhmaṇa, I, 6, 3, 23). Si « l’aliment sec de la terre » est « le feu », cela correspond précisément à la distinction qu’on trouve chez Euripide, Les Bacchantes, 277.
[92] Voir. Vogel, Indian Serpent-Lore, pp 265-75 et planches XXI, XXX. Les Nāgakals indiens sont posé au pied des arbres, et représentent deux serpents, dont le sexe est quelquefois clairement distingué par le nombre de capuchons, dans une étreinte sexuelle. Toutefois, dans ce contexte, ils ne sont jamais noués, mais simplement tressés pour former trois anneaux ; le symbole analogue, qui consiste en trois cercles superposés verticalement, que l’on trouve souvent sur les anciennes pièces de monnaie poinçonnées indiennes, est appelé par les numismates le « symbole en caducée ». Le grand dieu-serpent, Gūgā, objet d’un culte de la part également d’Hindous et de Musulmans au Pendjab, est représenté sous forme humaine par un cavalier, mais accompagné de deux serpents, dont l’un est enroulé autour de son bâton. En général les dieux-serpents sont l’objet d’un culte visant l’obtention ou bien de la pluie, ou d’une guérison (surtout de morsure de serpent, et de la lèpre, maladie liée traditionnellement aux écailles de serpent) ou encore de progéniture.
[93] Pour Fu Hsi et Nü-Wa, voir. Chavannes, Mission archéologique dans la Chine septentrionale, I, pp.2, 126 et fig.75, 156, voir122, 134, et A. Stein, Innermost Asia, ch.XIX pp.664, 708, 709 et pl.CIX.
[94] P. Jacobsthal, Imagery in Early Celtic Art, Proc, Brit, Acad, XXVII, p.8, pl.5a (1941). Sur le T’ao T’ieh chinois comme Gorgones, voir. Ananda K. Coomaraswamy, Art Bulletin, XXII, pp.52-55 (1940), et la discussion ci-dessous : « L’Est était le facteur principal de l’origine de l’imagerie celtique ».
[95] P. Yetts, The Cult Chinese Bronzes, pp.117, 125, 135, 136, 138, 139. À la page 135 il parle de « notre dette commune vis-à-vis des Chaldéens. Avec cela, et les remarques de Jacobsthal, et de W. A. Nitze, « The Fisher King in the Grail romances », PMLA, XXIV, pp. 346-418, il approche le Roi Pêcheur, principe de l’humidité et du pouvoir fructifiant dans la nature, de la divinité gauloise Cernunnos (le « Cornu ») et Zagreus, le serpent à cornes.
[96] Quel est le support en forme de cœur sur lequel le « bâton » est posé ? Et pourquoi le ruban est-il tenu par les Jumeaux et qu’il faut probablement comprendre comme attaché au bâton ou enroulé autour de lui ? Toute la composition, lorsque nous prenons en considération ces deux caractéristiques, rappelle curieusement les représentations égyptiennes de l’unification des Royaumes, où des couples de divinités affrontées tiennent le bout de cordes nouées autour de la « trachée », et du signe sema pour « union » (le nœud ayant au sommet la forme caractéristique du nœud d’Héraclès). De telles réminiscences de l’iconographie égyptienne dans l’art islamique sont tout aussi possibles que la survie de la psychostasie dans l’art chrétien.
[97] Langdon, Tammuz and Ishtar, p.37 (1914)
[98] A.Weber, Indische Studien,V, p.234 ; A. Macdonell, Vedic Mythology, p.53.
[99] Pour Nabū voir Langdon, Semitic Mythology, pp.158-161.
[100] « Car la Terre qui fut la mère d’Adam […] et Dieu a pris la similitude du fils de la première Fille de la Terre » (Wolfrang von Eschenbach, Parzival, IX, pp.549-560). « Les Vierges Noires […] sont la transformation chrétienne des divinités noires fécondes et plus spécialement de Ta terre » (M. Durand-Lefebvre, Étude sur l’origine des Vierges Noires, conclusion, pp.194 (1937). L’étable en ruine des Nativités médiévales les plus connues n’est rien d’autre qu’une rationalisation des types originels byzantins dans lesquelles « l’étable » est une caverne ou une grotte, de ce qui est évidemment la Montagne du Monde, et la Madone est une Déméter. Comme le dit le Professeur B. Rowland (Bull Fogg Art Museum, VIII, p.63. 1939) : « la naissance du Christ dans une grotte de montagne telle qu’elle est décrite dans le Proto-évangile et d’autres évangiles syriaques et arabes provient certainement de la même source asiatique que l’iconographie de la nativité de Mithra ». On peut remarquer que la Vierge de Lourdes est manifestement la Déesse-Terre des anciens.
[101] Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 27, 2.
[102] Ibid, I, 41, 5
[103] Saint Jean Damascène, De fid orth, I, 18.
[104] Les Nombres, XXI, 8, 9 ; voir Philon.
[105] Voir Karl Hentze, « Minussinsker Steppenkultur […] ein Beitrag zur Fruhgeschichte Nord-Europas », IPEK, IX, pp.51 ff. (1934).
[106] Ann. British School at Athens, XXXVII, pp.192-193, pl.25. On remarquera en plus que l’arbre sort de la gueule d’un dragon ; celui-ci est à la fois la racine de l’Arbre et la bouche qui l’exprime. De la même façon dans l’ancienne iconographie indienne le principe végétatif de vie jaillit très souvent de la gueule d’un Makara (Voir. Ananda K. Coomaraswamy, Yakṣas, II, pl.12, fig. 1, 4, 13, 37-39. 1931). En fait, l’iconographie de l’arbre-dragon de Bury St. Edmunds peut être mieux expliquée à partir des sources indiennes que par d’autres intermédiaires.
Brahma (racine bhṛ-, pousser, croître) peut être attribué à la fois au Dragon (Voir. HJAS, VI, pp.39 f) et Tattirīya Āraṇyaka, II, 19 (où Brahma est invoqué comme siśumāra) et à l’Arbre (Taittirīya Brāhmaṇa, II, 8, 9, 6; Śāṇkhāyana Āraṇyaka, XI, 2) de Lumière et de Vie qui respire (racine śvas-) et s’élève comme de la fumée (Maitri Upaniṣad, VII, II) ; le Dragon est l’être (bhūta) qualifié de « racine » ignée de tous les êtres (Chāndogya Upaniṣad, VI, 9, 4) et d’où ils sont ex-spirés (racine śvas-) comme la fumée provenant du feu (Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, II, 4, 10 et IV, 5, 11) ; et cela est identique au Dragon (Vṛtra) ex-spirant du feu et de la fumée quand Indra « força le goinfre (girati de la racine gṝ- « absorber », voir. mukhena nigirati qui est glosé par Śāyaṇa par le Brahma siśumāra cité ci-dessus) à régurgiter, et frappa Dānava qui respirait (racine śvas-) sur lui son souffle vénéneux » (Ṛgveda, V, 29, 4, voir. Ṛgveda I, 54, 5), afin qu’il ouvre sa grande gueule (Taittirīya Saṃhitā, II, 5, 2, 3, 4).
[107] R. D. Barnett, « The Nimrud Ivories and the Art of the Phoenicians », Iraq,II , p.190 et fig.3 (1933).