La traduction de cet article est parue dans Etudes Traditionnelles de 1946 ; Numéros 253 et 254. ( La longueur du texte nécessite deux parties )
« Ce qui a été engendré était en Lui la Vie, et la Vie était la Lumière des hommes. » ( Jean.I.3 )
1/ Le Soleil, père des créatures. Le Soleil est la Vie, ou l’Essence spirituelle (ātmā), de toutes choses,
( note : « Jupiter…de qui dépendent toutes choses, toutes les causes des causes,…la Providence…de laquelle toutes choses tiennent leur être. » ( Sénéque, Natur. quaest, II.45) Cf Denys l’Aréopagite, De div.nom IV.1 : « Car, comme notre soleil éclaire toutes choses.., ainsi le Bien projette sur toutes choses les rayons de son indivise bonté. »)
mobiles ou immobiles (Ṛgveda .I.115.1) : « Le Soleil apparaît à chacun des hommes », ( Aitareya Aranyaka.III.2.3 , cf Kaṭha Upaniṣad.III.3 ) : tous participent à cette Lumière immortelle, ceux qui reçoivent le plus de Savitri ( de « celui qui anime ») et qui vivent le plus longtemps, et ceux qui reçoivent le moins et qui meurent le plus tôt ( Śatapatha Brāhmaṇa.X.2.6.8 ).
( note : Autrement dit, la Lumière incréée est une présence totale, à laquelle toutes choses participent conformément à leur capacité naturelle. » La première des substances est la lumière. D’où il suit que toutes choses participent à la nature de la lumière…Autant une chose possède de lumière, autant elle retient de l’être divin. Une substance qui possède plus de lumière qu’une autre est dite plus noble qu’elle. » ( Witelo, Lib. des Intelligentils.VI.VIII) )
En d’autres termes, » l’Esprit des dieux (ātmā devānām), qui se meut à sa volonté, tantôt stérile et tantôt producteur » ( Ṛgveda.X.168.4 ), cet Esprit « est procréateur d’enfants » ( ātmā devānāṃ janitā prajānām , Chāndogya Upaniṣad.IV.3.7),
( note : Etymologiquement, prajā est « progéniture », ou « enfants » au sens où la Bible parle des « enfants de Dieu », « des enfants d’Israël » et des « enfants des hommes ». )
et est en conséquence invoqué, en tant que Prajāpati, dans la stance nuptiale: » Que Prajāpati engendre pour vous deux enfants » ( ā vāṃ prajā janayatu , Atharvaveda.XIV.2.40). Il est le Vent de l’Esprit ( vāyu ), le Vanneur ( pavamāna, Aitareya Brāhmaṇa. IV.26 ) – qui est lui-même celui qui engendre ici toutes choses (Śatapatha Brāhmaṇa.X.5.3.1 ) – ; il est le Père « ex quo omnis paternitas in coelis et terra nominatur » ( » de qui tire son nom toute paternité dans les cieux et sur la terre » ( Ephés.III.14 ), l’Esprit qui vivifie ( Jean.VI.3 ). En tant que Soleil, il relie toutes toutes choses à lui-même par le moyen d’un fil ( sūtra à savoir sūtrātmā, « fil-esprit » )
( note : Cf Bhagavadgītā.VII.7 : » Tout ceci est enfilé sur Moi comme une série de joyaux sur un fil ». De même le Tripurarāhasya .IV.119 : »Sans Lui, ils seraient tous dispersés et perdus comme des perles sans le cordonnet du collier. » Cf Denys De div nom, IV.4 et 6 : » Le Soleil est ainsi appelé parce qu’il totalise toutes choses et unit les éléments dispersés du monde…et qu’ainsi il relie ensemble tous les êtres, spirituels et rationnels, les rassemblant en une unité » (cette explication repose sur l’assimilation herméneutique de « helios » « soleil » et de « aolles » « ensemble ». )
et ce « fil » est le « Vent » ci-dessus mentionné ( Vāyu, Śatapatha Brāhmaṇa.VIII.7.3.10),
( note : « Le Vent en vérité est ce fil » (vāyur vai…tat sūtram, Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad.III.7.2 ). C’est pourquoi l’on parle de la « rupture des cordes du vent » (vraścanam vātarajjānām, Maitri Upaniṣad.I.4) à la fin du cycle. Microcosmiquement, l’on dit de l’individu décédé que « ses membres ne sont plus retenus » (vyasranśatasyāṅgaṇi, Bṛhadāryanaka Upaniṣad.III.7.2 ), remarque inverse de celle d’ Aitareya Aryanaka.I.4.1.1 : « Avec le Souffle il unit leurs jointures » (prānena parvāni saṃdadhāti). Du point de vue des « archétypes », c’est Prajāpati, lorsqu’il procède de l’unité à la multiplicité, qui s’est « désenfilé » (vyasransata) et c’est lui qui, en tant qu’Agni est, avec le bénéficiaire du sacrifice, « réintégré » (saṃskurute) ou « réédifié » (chiyate) de façon à redevenir entier (kṛtsna) ( Śatapatha Brāhmaṇa, etc, passim). La « rupture » ( ou le « sectionnement ») des cordes du vent est la même chose que le sectionnement de Śatapatha Brāhmaṇa.X.5.2.4 ; le « fil de la vie » (lifestring, comme s’exprime Eggeling ) qui est coupé étant aussi le même que celui filé par les Parques grecques ou par les Nornes nordiques.)
la « vaste chaîne » (sūtra) sur laquelle ces enfants sont tissés (otā prajā imā) » ( Atharvaveda.X.8.38 ). Ce fil-souffle est en même temps un rayon de lumière (raśmi); car « la Lumière est la puissance génératrice » (Taittiriya Samhitā.VIII.I.I.1, Śatapatha Brāhmaṇa.VIII.7.1.16) et « les nombreux rayons du Soleil sont ses fils » (Jaiminī ya Upaniṣad Brāhmaṇa.II.9.10)
( note : « Car Dieu aussi est esprit. Lorsqu’un rayon est projeté par le soleil, il est une partie du tout : mais le soleil sera dans le rayon, parce que c’est un rayon du soleil : ce n’est pas la division d’une nature, mais son extension, Esprit venant de l’Esprit, Dieu venant de Dieu – comme la lumière s’allume à la lumière… » (Tertullien, Apol,XXI,12-13) )
Et, en même temps, ce fil est le « pied » (pāda ), le « pied unique » du Soleil (sūrya ekapāda), avec lequel il prend sur le coeur son point d’appui,
( note : Le « coeur » de Prajāpati est le Soleil ( Śatapatha Brāhmaṇa.IX.2.1.40) ; d’une façon analogue, le coeur de l’homme est le siège de la Personne (Śatapatha Brāhmaṇa.X.6.3.2) : « La Personne d’or dans le Soleil, c’est justement celui qui habite dans le lotus du coeur, consommant de la nourriture » ( Maitri Upaniṣad.VI.1 ), c’est-à-dire assumant un « corps ». Le « Jars unique (le Soleil, l’Esprit), s’élevant, ne retire pas son unique pied de la mer ; en vérité, s’il le retirait, il n’y aurait ni nuit ni jour, ni aujourd’hui ni demain, et il n’y aurait plus jamais d’aube. » (Atharvaveda.4.21 ; cf Bṛhadāryanaka Upaniṣad.IV.3.11-14) )
et de là regarde au-dehors à travers nos sens, jouissant de leurs objets ( Maitri Upaniṣad.II.6); ou avec lequel, en d’autres termes, il s’avance, il « procède » (prasarati), en tant qu’il est esprit unique naissant sous des aspects multiples (ekam ātmānam…carati bahudhā jāyamānaḥ, Muṇḍaka Upaniṣad.II.2.5-6 ). Mais lui, le Soleil, « dont l’ombre protectrice est à la fois celle de la vie et celle de la mort » (Ṛgveda.X.121.2), lui le Souffle de Vie (prāṇa, Taittiriya Upaniṣad.V.2.5.4 ; Aitareya Aryanaka.II.I.I.8), est aussi la Mort, dont les pieds sont plantés dans le coeur, et, quand il nous quitte, nous mourons (Śatapatha Brāhmaṇa.II.3.3.7 et X.5.2.13) ; il est notre Père, Prajāpati, qui à la fois « tue et vivifie » (Atharvaveda.XIII.3.3 ; cf Samuel.II.6 et I, et Rois.V.7 ) ; l’Année, qui « des choses réunit les unes et séparent les autres » (Aitareya Aranyaka.III.2.3.7 ) ;
( note : C’est-à-dire « qui tue » d’où saṃgamana, « celui qui réunit », comme l’un des noms de la Mort, de la Personne dans le Soleil qui en tant que telle est « la grande Puissance attractive qui réunit les choses considérées en elles-mêmes, individuellement. « Devenir un » (eka bhū) est régulièrement « mourir », surtout au sens de la « dernière mort », et aussi ( comme saṃbhū ) « se marier », tout mariage représentant en effet l’union de l’âme avec l’Esprit-Soleil. saṃbhū veut aussi dire « naître », l’union impliquant régénération. )
la Mort, qui dévore ses enfants aussi bien qu’elle les fait naître ( mṛtyuḥ prajā atti ca prajanayati, Pañcaviṃśa Brāhmaṇa. XXI.2.1 ) ; il est « Cela qui doit être connu, qui dévore et qui procrée » (tai-jñeyaṃgrasiśnuprabhaviśnu, Bhagavadgītā.XIII.16).
2/ Le baiser de vie et la paternité spirituelle. Les remarques précédentes suffiront à expliquer le passage de Śatapatha Brāhmaṇa. VII.3.2.12, suivant lequel c’est parce que le Soleil, Prajāpati, « embrasse » (abhijighrahi), « respire sur ») ses enfants que chacun d’eux peut dire : « Je suis » :
( note : « Ils obtiennent un Soi » (labdhātmaka) (commentaire de Sāyana )
dans le rituel, le cheval qui doit être offert en sacrifice est le Soleil sous une de ses formes et on le fait respirer sur les briques de l’autel du feu, lesquelles représentent ces mêmes « enfants » (toutes les créatures) et les mondes
( note : Les « enfants » sont reliés au Soleil par ses « nombreux » ou ses « mille » rayons : et les « mondes » ( les « sept mondes des dieux » : les régions des six points cardinaux et leur centre commun) sont reliés à lui par ses « sept rayons » : voir à ce sujet René Guénon, La Porte étroite. Les « briques » sont les symboles cosmiques avec lesquels on construit l’Autel du Feu. Elles sont de plusieurs espèces et aucune n’est faite de simple terre cuite. Les trois briques dont il est ici question sont les « Percées par elle-mêmes » (svayamātṛnna), qui représentent les Trois mondes; la Terre, l’Air et le Ciel : leur forme est celle d’un anneau et elles sont disposées comme si elles étaient enfilées sur l’axe « pneumatique » de l’Univers ; l’ouverture de la brique supérieure représente la Porte solaire, la Porte étroite. )
« et, juste de la même façon que lui, le prêtre, fait respirer le cheval sur ces briques, ainsi ce Soleil là-bas dispose pour lui-même les mondes sur un fil » ; ou il est dit Taittiriya Saṃhita.V.2.8.1; 3.2.2 et 3.7.4 , « il fait en sorte que le cheval respire sur elles et ainsi, en vérité, il leur confère le Souffle. » (aśvan upaghrāpayati, prāṇam evāsyāṃ dadhāti). Car, comme Pañcaviṃṣa Brāhmaṇa.XX.4.5 nous le dit, « Prajāpati exprima ses enfants ;
( note : pour asṛjata, nous disons « exprimer » plutôt que « fit émaner », prenant l’idée d’ « expression » au sens que lui donne saint Bonaventure : » La vérité divine est elle-même une lumière et ses expressions, en ce qui concerne les choses, sont comme des irradiations lumineuses, quoique internes, lesquelles, d’une façon déterminée, conduisent et dirigent vers ce qui est exprimé. » (De scientia Christi.q.3.c) )
ils ne se procréèrent pas eux-mêmes ; il devint le cheval et souffla sur (abhyajighrat) eux ; ils se procréèrent eux-mêmes » alors que, d’après VII.10.16 « ces enfants, qui avaient été « exprimés » par Prajāpati, languissaient : il souffla sur eux (abhyajighrat, les « embrassa ») …ensuite de quoi ils devinrent vigoureux » (samedhanta). Dans Taittiriya Saṃhita.VI.4.11.3, c’est l’adhvaryu
( note : Le prêtre qui exécute les actes du sacrifice (adhvara) et récite à voix basse, lorsque le rituel l’exige, des vers du Yajurveda. )
qui profère la syllabe HIN et « pour autant qu’il dit ainsi HIN, pour autant, en vérité, Prajāpati respire sur ses enfants ; c’est avec cela (avec le HIN) que la vache souffle sur son veau après que celui-ci est né ». Dans le Ṛgveda.I.185.5, le Ciel et la Terre, les Parents universels, sont dits « embrasser » (abhijighranti) l’Ombilic de l’Univers. « Et le Seigneur Dieu forma l’homme de la poussière du sol, et il souffla dans ses narines le souffle de vie : et l’homme devint une âme vivante. » ( Genèse.II.7) :
( note : Ainsi le Seigneur « soulève la poussière », comme Indra dans le Ṛgveda.I.56.4 (iyarti renum) et IV.42.5 ou comme Vāyu (ou Vāt ) dans VII.87.2 etc, à savoir comme le Vent, le Vanneur (vāyu, pavamāna) « qui engendre (janayati) ici toutes choses » (Śatapatha Brāhmaṇa.X.5.2.1 ) ; cf aussi Voluspa,13 : « Odin donna le souffle de vie. » )
» Il est le souffle de vie dans les narines pour contempler tes rayons » (Hymne égyptien au Soleil; Breasted, Dawn of Conscience in Egypt, p 191). C’est, assurément, par un « baiser du Soleil » que le Prince solaire éveille la Belle endormie dans nos contes de fées. Mais, maintenant que nous avons compris la signification du « baiser du Soleil » du point de vue des archétypes, nous allons nous occuper principalement de ses équivalents rituels : nous avons déjà vu un exemple en relation avec la construction de l’autel du feu et où le Soleil est représenté par le cheval ; dans d’autres rites, dont nous allons parler, le représentant symbolique du Soleil est un homme, à savoir l’udgātṛ, le prêtre qui chante le sāman.
( note : Dans Taittiriya Saṃhita.V.7.1, c’est au cheval que la construction de l’autel est rituellement annoncée et cette déclaration est considérée comme faite à Prajāpati lui-même « en présence réelle » (sākṣāt) : en outre, on fait respirer le cheval (aśvam avaghrāpayati) sur le pot remplit de miel et, pour autant qu' » Indra est ce Soleil là-bas, et que ce Soleil là-bas est Prajāpati, et que le cheval et de la nature de Prajāpati, il lui confère ainsi directement un pouvoir » (sākṣād ridhnoti) : ici le cheval n’est pas tant un symbole (rūpa) du Soleil qu’il n’est le Soleil sous un de ses aspects ( cf notre article De la « mentalité » primitive. ) Enfin dans Śatapatha Brāhmaṇa.XIII.2.3.2 le cheval prend la place de l’udgātṛ : pour autant qu’il hennit, est-il dit dans ce passage, le cheval « fait HIN » (hinkaroti) et le hennissement est l’udgītha ( le chant de l’udgātṛ). HIN est clairement une onomatopée et il peut représenter le hennissement d’un cheval ou le mugissement d’une vache, cf Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa.I.33.9, où la personne, le disque et les rayons du Soleil sont identifiés à l’udgītha, au prastāva et à l’ hinkāra, qui sont trois parties de l’hymne chanté (sāman). L’identification qui est faite de l’hinkāra, ici avec le rayon solaire, et dans Śatapatha Brāhmaṇa.IV.2.2.11, avec le souffle, cette identification, disons-nous, concorde avec l’attribution à l’hinkāra d’un pouvoir procréateur, ainsi qu’il est noté plus loin. Le rayon solaire, lui aussi, est un souffle (prāṇa), le souffle de vie. Au sujet de la coïncidence du son de la lumière et de la vie « in divinis » cf René Guénon , Verbum, Lux et Vita et Aperçus sur l’initiation, ChXLVII. )
Parmi les prêtres (ritvij) qui officient lors du sacrifice du cheval, c »est principalement l’udgātṛ (« celui qui chante à haute voix »), le chanteur du sāman, qui représente le Soleil :
( note : Le Soleil est lui-même à la fois le chanteur-archétype ( l’udgātṛ-archétype) et le chant-archétype (l’udgītha-archétype dont la musique terrestre est une « mimesis ». Nous nous proposons de traiter de cet aspect sonore de la lumière vivante dans un article séparé sur le symbolisme du coq et nous contenterons d’indiquer ici qu’udgātṛ pourraît être rendu assez exactement par « chanteclair ». )
« Il est le Prajāpati de celui pour qui le sacrifice est offert » et, étant tel, « il respire sur ses enfants » (prajā abhijighrati, Pañcaviṃśa Brāhmaṇa.10.7).
( note : Ainsi comme l’observe Aristote, « l’homme et le Soleil engendrent l’homme. » (Physique.II.2), « Lorsque le père (humain) l’émet ainsi comme semence dans le sein de la mère, c’est en réalité le Soleil qui l’émet comme semence dans le sein : là en vérité, Il le régit et le conduit au-delà de cette (première) mort…Plus tard il naît, conformément à cette semence et conformément au souffle. » (Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa.III.10.4-5). Trois choses sont requises pour la conception : l’union du père et de la mère, les règles de la mère et la présence du Gandharva, c’est-à-dire de l’Eros solaire et divin (M.I.265-6). Chacun de ces textes affirme que la première cause de la conception est d’ordre « solaire », les causes secondes étant d’ordre humain. Cf W.Evans Wentz. The Fairy Faith Countries ) )
Nous retrouvons l’udgātṛ représentant du Soleil dans Taittiriya Saṃhita.VII.5.8.6 et Pañcaviṃśa Brāhmaṇa.VIII.7.12-14, où il « est Prajāpati » et où on le « fait regarder » la femme de celui pour qui le sacrifice est offert ; la cuisse de la femme est dénudée et le rite est accompli « aux fins d’insémination », afin qu’elle puisse « mettre des enfants au monde » ;
( note : D’une jeune fille élevée dans strict confinement, les poètes de l’Inde disent qu’elle n’a été, ni vue par le Soleil, ni touchée par le Vent : ainsi est-elle vierge. Dans quelques mythes indiens de l’Amérique du Nord, on parle des vierges comme de « filles que le Soleil n’a pas frappées.. Ceci rappelle Mahābhārata.III.306-307, où le Soleil « touche » (apasparśa) l’ombilic de Prithā encore vierge et ainsi engendra Karṇa. )
ici, bien entendu, le pouvoir procréateur est une lumière qui procède de l’oeil de l’udgātṛ, oeil qui représente l’oeil solaire, le principe de toute vision.
( note : « Quiconque voit, c’est par Son rayon qu’il voit » ( Janminīya Upaniṣad Brāhmaṇa.I.28.8 : « Les Dieux firent en sorte que le feu pur, qui est en nous et est parent de celui du jour, sortit par les yeux en un courant doux et dense de vision. Platon. Timée,45.c ) ; ce qui est bien la théorie traditionnelle de la vision.)
Nous trouvons , d’autre part, que les Brāhmanes qui officient à un sacrifice, acte qui, bien entendu, doit être précédé de l’initiation (dīkṣā) du bénéficiaire et de celle de sa femme que ces Brāhmanes, disons-nous, sont considérés comme les « procréateurs » du bénéficiaire du sacrifice (tejijījananta , « ils le font naître ») ; ils sont ses procréateurs pour autant qu’ils édifient (saṃskurvanti) pour lui un autre soi (anyam ātmānam) qui sera « lui-même » (ātman) dans l’autre monde ( Śatapatha Brāhmaṇa.IV.3,4,5). Le prêtre qui chante, l’udgātṛ, est ainsi le parrain, le « godfather »,
( note : le terme anglais « godfather » (« parrain ») doit être pris ici au sens étymologique de ses deux parties constituantes : on doit l’entendre comme se référant à une véritable paternité divine. Les savants qui ont observé les rites des Indiens de l’Amérique du Nord parlent de l’initiateur comme d’un « père cérémonial » ( cf par exemple Ruth.I.Bunzel. Zuni Ritual Poetry, dans le 47th Ann.Rep. Bureau of Amer Ethnology. Washington.1929-1930). L’appellation « dada » (« père »), par laquelle on s’adresse à un Brāhmane en langue vulgaire, et l’expression européenne « padre » ne sont aucunement de simples formes de politesse : toutes deux traduisent le fait que le prêtre est notre « père » dans un sens très réel, celui de Manu.II.146 : « De celui qui procrée (utpādaka) et de celui qui communique l’intelligence des choses spirituelles (brāhmada) et II.170-171 : « Sa mère est Sāvitrī ; le maître (ācārya) est son père ; le maître est considéré comme son père ». Car, en vérité, « le maître qui, par le rite de l’upanayana établit le disciple dans l’étude du Veda fait de lui un enfant non encore né ; cet enfant est en lui-même : pendant trois nuits il le porte dans son ventre ; et lorsqu’il est né, les dieux s’assemblent pour le regarder. » (Atharvaveda.XI.5.3). L’acceptation en forme d’un disciple a lieu par le rite de l’upanayana, dans lequel le cordon sacré est attaché autour de la taille du jeune garçon et par lequel ce dernier (qui, même, s’il est Brāhmane de naissance, a été considéré jusque-là comme un Śūdra ) devient un « deux fois né » (dvija). Je suis porté à croire que le rite de l’upanayana est aussi une initiation, quoique d’une autre sorte que l’initiation requise avant un sacrifice et pour laquelle le terme dīkṣā est employé. )
de celui pour qui le sacrifice est offert : il l’est lors de sa naissance naturelle et il l’est également lors de sa seconde naissance, par laquelle il sort d’un état de mort spirituelle. Nous pouvons ajouter que l’udgātṛ est encore le « parrain » de celui pour qui le sacrifice est offert, lorsque ce dernier meurt et est placé sur le bûcher funèbre, pour renaître une troisième et dernière fois. Dans ces trois passages dangereux de la mort à la vie, l’udgātṛ agit par le moyen de l’hymne chanté (sāman) et comme représentant du Soleil, du Feu et de la Lune (Aditya, Agni, Candra ), ailleurs désignés comme les trois Ghandarva ou comme le Ghandarva triple ou le Ghandarva à trois têtes : c’est lui, l’udgātṛ, qui « emporte (le défunt) au-delà de la mort » (mṛtyum ativahati) et qui opère sa renaissance, dans le premier cas comme quelqu’un qui est dans ce monde, mais qui n’est plus de ce monde,
( note : L’état de l’initié (dīkṣita) est décrit dans Taittirīya Saṃhita.VI.1.5: « Il est mort à ce monde et il n’a pas (encore) atteint le monde des dieux » (praṣyuto vā eṣo’smāt lokād agato devalokaṃ yo dīkṣitaḥ). Car, « le monde des Dieux est caché à ce monde-ci et il n’est pas facile de quitter ce monde », ainsi parle-t-on : qui sait, à vrai dire, s’il est dans ce monde ou non? » (Taittirīya Saṃhita.VI.1.1) c’est-à-dire qui peut affirmer, s’il est ou non en « état de grâce »? Dans tous les cas, « personne ne devient immortel dans son corps » (Śatapatha Brāhmaṇa.X.4.3.9, cf Jaiminīya Upaniṣad Brāhmana.III.38.10). L’immortalité, ou plutôt la « non-mort » (cf Hopkins. JAOS,26,37), qui est obtenue par voie d’initiation et de sacrifice sur terre consiste à vivre la pleine mesure de la vie, en mourant seulement à un âge avancé (Śatapatha Brāhmaṇa.II.2.2.14);: celui pour qui un sacrifice est offert « n’espère aucunement ne pas mourir du tout » (ibid) : mais jouir ainsi d’une « vie entière » ici-bas est pour l’initié la préfiguration et la garantie qu’il jouira de la « vie entière » après sa mort (Śatapatha Brāhmaṇa.X.2.6.9 et passim). Mais avec cette remarque le tableau n’est pas encore complet ; car la « non-mort » des dieux n’est pas non plus sans un commencement, une durée et une fin ( cf Śatapatha Brāhmaṇa.XI.1.6.15) : le présent éternel, supérieur au temps et à toute durée, est atteint seulement lorsque les intelligences divines sont unifiées en Brāhma, ātmā ou, comme on l’exprime autrement, lorsqu’elles rentrent dans le Vent. )
et dans le troisième comme quelqu’un qui est dans l' »autre monde » ; et on dit qu' »il le fait prospérer dans ces états (de l’être) auxquels il est né » (etaiścainaṃ bhūtain samardhayati yānyabhisaṃbhavati (Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa.III.9-12) .
( note : Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa.III.9 et 11 et Aitareya Aranyaka.II.5 ( où il est aussi question de trois naissances de l’homme) ne sont pas comme Keith l’a affirmé (Aitareya Aranyaka p233 note 4), « radicalement différents ». La première mort et la première renaissance, la dernière mort et la dernière renaissance sont les mêmes dans les deux cas. La seconde mort de J.U.B est sacrificielle et celle d’A.A est procréatrice. Les deux conceptions sont combinées dans Chāndogya Upaniṣad.III.17 où asoṣṭa ( SU-) signifie à la fois « il a sacrifié » (littéralement : « il a pressé » sous-entendu « le soma ») et « il a procréé » : au sujet de la procréation entendue comme sacrifice cf Bṛhadāryanaka Upaniṣad.VI.2.13 et VI.4.3. Les sacrifices sont de nombreuses sortes (Bhagavadgītā.IV.32). Lorsque, comme dans la Chāndogya Upaniṣad.III.16-17 (et, ainsi qu’on peut le supposer, aussi dans Atharvaveda.II.5), la vie elle-même est envisagée comme un rituel de sacrifice, chacune des activités de la vie, étant rapportée à son principe, devient un rite qui libère. Le feu domestique (gārhapatya) devient alors effectivement le feu qui reçoit les offrandes (āhavanīya), l’acte d’insémination devient une libation de soma. C’est ainsi que, dans Atharvaveda.3.2, une « personne » (puruṣa) est distinguée de l’animal (paśu), ce dernier réagissant « seulement à la fin et à la soif », « le premier » cherchant l’immortel par le mortel » : car « en ce monde se trouve le monde céleste, parce que ce qui n’est pas céleste on monte vers le monde céleste » ( Aitareya Brāhmaṇa.VII.10 cf Kaṭha Upaniṣad.II.19 : « Par le transitoire j’ai obtenu le permanent. » )
Maintenant nous ne connaissons pas de texte déclarant formellement que, lors des seconde et troisième naissances dont il vient d’être question, l’udgātṛ, à proprement parler, » respire sur » (abhijighrati) le bénéficiaire du sacrifice. Mais le samardhayati, « il fait prospérer », du texte précité de J.U.B. correspondau samedhanta, « ils deviennent vigoureux » de Pañcaviṃśa Brāhmaṇa.VII.10.15 (cité plus haut) ; et il est précisé dans ce dernier texte qu' »ils devinrent vigoureux » pour autant que Prajāpati « respire sur » eux. En outre, dans le vers suivant (Pañcaviṃśati Brāhmaṇa.VII.10.16), nous lisons que le prêtre qui chante, l’udgātṛ, « est Prajāpati et respire sur les enfants », non pas littéralement, mais pour autant qu’il prononce la syllabe HIN ( tad hin karoti ) ;
( note : « Prajāpati est le son HIN » (Chāndogya Upaniṣad.1.13.2). )
alors que, dans J.U.B.III.12.5 , c’est justement « en prononçant la syllabe HIN » (hinkāreṇa) que l’udgātṛ « chasse la mort » pour le bénéficiaire du sacrifice.
( note : « Qu’il respire sur lui (ou « qu’il flaire » ») avec le HIN du mugissement des vaches (avajihret…gāvām…hin-karyāt) (Kauṣītaki Upaniṣad.II.11). Dans Pañcaviṃśa Brāhmaṇa.VII.10.15, c’est, comme nous l’avons vu, à cause d’un pareil baiser ou d’une pareille « respiration » (abhijighrana) accompagnée de la syllabe HIN que la descendance « prospère ». Le rapport de HIN avec le mugissement des vaches est expliqué dans Śatapatha Brāhmaṇa.II.2.4.12 : le sāman (chant védique) est tout d’abord incomplet ; mais les dieux aperçoivent une vache, qui les regarde et qui mugit avec le son HIN : avec celui-ci ils complétèrent le sāman. C’est parce que le HIN du sāman était dans la vache que celle-ci est « donatrice de vie » ou « douée des moyens de la vie » (upajivantya) : « et ainsi est également celui qui comprend le HIN du sāman dans la vache ». Il ressort de la Chāndogya Upaniṣad.II.9.2 qu’il y a un rapport entre cette partie du sāman (le son HIN) et les vaches. D’après Atharvaveda.IX.10.6, lorsque la vache mugit tournée vers son veau, c’est avec le son HIN ( la vache étant ici, sans aucun doute, Adita et le veau Agni) )
Et dans Pañcaviṃśa Brāhmaṇa.VIII.7.13, enfin, où la femme du bénéficiaire du sacrifice est fécondée par le regard de l’udgātṛ, il est expressément affirmé que le regard doit accompagner la prononciation de la syllabe HIN, « car c’est après qu’il a dit HIN que la semence est déposée ». Il est donc clair que, soit littéralement, soit liturgiquement, le prêtre, le « padre », préserve la vie de son « fils » en « respirant sur » lui.
( A suivre )