Ananda K. Coomaraswamy. L’iconographie primitive du Sagittaire.

L’iconographie primitive du Sagittaire. (Kṛṣānu.)*

 

« L’Asie Occidentale applique les lois d’une iconographie rigoureuse ».

(G. Contenau. Manuel d’Archéologie Orientale, p. 377)

 

 

 

Quelle que soit leur utilité à l’astronome, les formes des signes astrologiques du zodiaque sont d’origine mythologique plutôt qu’astronomique[1]. Nous proposons d’examiner le contexte ancien du signe du Sagittaire (τοξότης), dont le type toujours existant est celui de l’archer-centaure. Son emplacement entre le Scorpion et Capricorne, et au-dessous d’Aquila [Aigle] et Serpentarius [Serpent], constitue un ensemble significatif.

Les questions fondamentales qu’il convient de se  poser sont : « Que vise l’archer ? », et « Qu’est-ce qu’il défend ? »  Intimement lié à ces questions est le problème suscité par l’iconographie islamique, où la queue de l’archer-centaure n’est pas celle d’un cheval mais celle d’un serpent ou d’un dragon [voir la représentation du Sagittaire sur le manuscrit persan du 15ème siècle]. Ce problème a été habilement discuté par le Dr Willy Hartner, qui fait remarquer que « Cette alliance provient de toute évidence non pas d’une conception astrologique, mais d’un modèle mythique, ou plutôt métaphysique » ; et, en ce qui concerne la queue de dragon il dit : « la question de savoir pourquoi ce dragon était associé à la constellation du Sagittaire reste totalement sans réponse […] certains traits appartenant au scorpion semblent aussi avoir fait l’objet d’un transfert au Sagittaire ; il ne faut toutefois pas oublier que le scorpion lui-même a toujours été étroitement lié au serpent, symbole du monde inférieur, hostile à la lumière solaire, repaire du dragon ». Il est assurément sur la bonne voie quand il affirme que « la solution du problème doit être recherchée dans l’ancienne mythologie de l’Orient ancien – il existe en effet un lien avec ‘‘l’homme-scorpion’’ qui garde l’entrée du monde inférieur dans l’épopée de Gilgamesh »[2]. Dans cette conclusion, nous aurions toutefois préféré « autre » plutôt que « inférieur »[3], ce qui nécessite d’être renforcé et développé  par un examen plus détaillé de la « mythologie de l’Orient ancien », celle à la fois de l’Asie occidentale et de l’Inde. C’est ce que nous proposons d’entreprendre sans prétendre ajouter quoi que ce soit au très habile traitement par le Dr Hartner, de l’aspect purement astronomique des Nodes, dont les nœuds dans la queue du serpent en sont une indication.

Comme le remarque Jerphanion, « Ce que l’archéologue cherche dans un monument, c’est l’expression d’une pensée »[4] ; et bien que cela implique ce qui peut sembler, à première vue, une longue digression, il sera indispensable d’évoquer le cadre dans lequel a pris forme l’iconographie du Sagittaire, en esquissant à grands traits le mythe de la Quête de Vie, ou le Rapt de Soma : il nous apprendra où se tient l’archer et ce qu’il défend, et pourquoi il est si souvent armé non seulement de flèches mais aussi d’un dard.

 

En Inde, Soma est à la fois une « personne » et l’arbre, la plante, la nourriture ou l’Eau de Vie des dieux, notamment d’Indra, pour qui il est défendu par des dragons et une « Porte Active ». En Grèce, la source de la vie est Dionysos, le fils de Sémélé, qui « bien qu’étant un dieu, est versé en libation aux dieux, afin que, par Lui, les hommes puissent remporter des biens »,[5] ou bien elle est représentée par les Pommes d’Or, ou la Toison d’Or, gardées par un dragon et volées par un héros. Chez les Hébreux, c’est l’Arbre de Vie, ou  l « hydromel » de Suftung, le sang d’un sacrifice, qu’Odin remporte[6]. Dans le folklore celtique et celui du Graal, la Source de Vie est un Vase d’Abondance ou autre talisman remporté par le héros d’une Quête, qui traverse un pont ou un gué et vainc de défenseur d’une « Porte Active ». Dans le christianisme, Soma est représenté par l’ « eau vivante » de Jean, IV, 10-14 et le « Pain » de VI, 50-51 : « La douceur cachée au monde entier a véritablement pris place dans ce vase céleste »[7].

La place du roi Soma réside dans l’ « Autre Monde », « au troisième ciel d’ici », ou au « ciel le plus élevé », un arcane dont l’équivalent dans la mythologie sumérienne est « la chambre secrète » d’Ea-Anu[8]. Aucun être demeurant sur terre ne goûte au véritable élixir, mais seulement à des substituts « actualisant le Soma » par des rites de transsubstantiation[9]. Soma, gardé par son geôlier, Vṛtra-Varuṇa et assimilé à lui, est « dans le rocher »[10], c’est-à-dire derrière ou à l’intérieur de la paroi rocheuse ou de la montagne devant être percée ou ouverte par quiconque voudrait l’atteindre, ou à l’intérieur du « château » ou derrière la « limite » [« murity »]  du Ciel qui séparant ce monde-ci de l’Empyrée hyper ouranien dont l’unique accès est la Porte gardée du Soleil. C’est « le mur du Paradis dans lequel toi, Dieu, tu demeures, construit de la coïncidence des opposés. Nul ne peut y entrer sans avoir vaincu le plus haut Esprit de la raison qui garde l’entrée »[11], à savoir la « divinité inflexible » dont le nom est « Vérité » et qui garde la porte contre tous ceux qui ne sont pas qualifiés pour « passer par le milieu du Soleil »[12] – « Moi, je suis la porte : si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé »[13]. Les battants de cette Janua Coeli sont ces mêmes « opposés » dont le mur est construit, au travers lesquels nul ne passe sauf le Héros capable de pénétrer entre les « Rochers qui s’entrechoquent » de toutes les alternatives dialectiques : inter genas saevantium dentium [] draconum[14].

Soma est associé notamment avec Varuṇa, Yama (dieu de la mort), Tvaṣṭṛ (le Titan forgeron) et les Gandharvas (que l’on évoquera ultérieurement). On dit des prêtres qu’ils « lapent le lait onctueux des Aśvins, là-haut dans la citadelle des Gandharvas, par leurs contemplations inspirées » (Ṛgveda, I, 22, 4) ; le sacrificateur, « réunit dans un banquet avec les dieux, boit du Soma » (sadhamādaṃ devaṃ somaṃ pibati, Taittirīya Saṃhitā, II, 5-55) ; ces participations sont une préfiguration ou une anticipation sur la vie bienheureuse  du défunt qui, « assis aux côtés de Yama, se rend auprès des dieux et boit avec les Gandharvas, amateurs de Soma » (Atharva Veda, IV, 34, 3), en compagnie de Yama et des dieux (Ṛgveda X, 135, 1). Dans le royaume d’immortalité de Yama Vaivasvata, là-haut à la Porte du Ciel (Ṛgveda, IX, 113, 8ff)[15] où coule le Soma, tout désir est comblé. Le roi Soma est toujours gardé par le Gandharva (Ṛgveda, IX, 8, 4) qui, debout pointe ses armes scintillantes vers l’Aigle qui s’approche du siège de Yama pour ravir l’élixir (Ṛgveda, X, 123, 6-7). Une version typique du mythe du Rapt de Soma commence ainsi : « Soma était au ciel, les dieux étaient ici -bas)[16]. Ils émirent le voeu : « Plût au Ciel que Soma vienne à nous, alors nous pourrions-nous sacrifier avec Lui (comme offrande) […] ». La Gāyatrī (mètre védique, prenant la forme du Faucon ou de l’Aigle), déroba (āharat) Soma, caché au ciel derrière deux battants en or, tranchants comme des rasoirs, qui se refermaient à chaque clin d’œil […][17] D’ailleurs, les gardiens de Soma (soma-rakṣāḥ)[18] le surveillaient là-haut » (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 6, 2).

D’un point de vue iconographique, Soma peut être représenté par une plante ou un arbre, ou par une coupe (kalaśa, κυλιξ), pleine et débordante, dans laquelle pousse une plante ; ou encore conçu comme une source intarissable. La Fontaine de Vie ou  Plante de Vie peut être représentée  comme jaillissant des mâchoires ouvertes d’un Makara. Soma en tant qu’extrait liquide, originellement  mélangé avec du sang, est à la fois l’ichor d’un dragon[19] et la sève d’un arbre, en d’autres termes l’essence vivante [« life-blood »] d’un arbre-dragon[20].

La nature originelle de Soma est ophidienne. Il est « frère des serpents » (Ṛgveda, I, 191, 6), et sa procession est une émergence hors de la vieille peau du serpent (Ṛgveda, IX, 86, 44), ou résurrection hors du corps mortel (Vājasaneyi Saṃhitā, XIX, 72). Ainsi sa passion sacrificielle est « pas réellement sa mort, mais la mort de son ‘‘mal” » (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 9, 4, 17-18) et une délivrance ou un désenchantement par lequel il est invité dans son royaume comme hôte et rendu ami[21]. En d’autres termes, comme il est maintes fois dit, Soma était Vṛtra (Ahi, Namuci, Pāpman, Mṛtyu) en tant que victime sacrificielle, mais c’est comme Mitra (Ami) qu’il en émerge (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 9, 4, 2 etc.). Seigneur du Monde, on l’adjure de procéder à ses fonctions. Devenant un faucon, il échappe au Gandharva Viśvāvasu (Taittirīya Saṃhitā, I, 2, 9),  et ainsi prenant une forme identique à celle de l’Oiseau-Feu, Faucon ou Aigle qui l’emporte – « Toi, Faucon, le Porteur-de-Soma ! »  (Taittirīya Saṃhitā, I, 2, 10, 1). Cet enlèvement constitue le « Rapt de Soma » (soma-haraṇa), le Faucon en est le « voleur de Soma » (soma-hārin) qui vainc ou échappe au « Gardien » de Soma (soma-rakṣa). Vu du côté du sacrificateur, Soma n’est pas tant volé que délivré des mains de magiciens, de voleurs et d’avares qui le tiennent prisonnier ; et Soma est lui-même un héros qui se retourne contre ses « frères »[22] et qu’on acclame comme un « tueur de dragon » (Ṛgveda, IX, 88, 4 etc.). Comme von Schroder l’exprime : « Der gefangene, streng behutete Soma-Haoma sucht sich zu befrein, sucht zu entfliechen »[23].

De même, dans la mythologie sumérienne la « Plante de  Naissance », Pain et Eau de Vie immortelle, poussait au troisième ciel (le ciel le plus haut), la demeure d’Anu, conçue comme un jardin caché ou une chambre secrète. En tant que l’arbre Kiśkanu, il s’épanouit « dans un endroit vierge comme la clairière d’une forêt ; son ombre s’étend amplement et nul ne peut y pénétrer »; dans ses profondeurs se trouvent Shamash et Tammuz ; en tant qu’élixir ou eau vivante, il est représenté par le « vase débordant » entre les mains d’Anu ou d’Ea[24], homologue du Varuṇa indien. Le Roi Soma, le Sacrifice, n’est autre, en fait,  que le Dumuzi (Tammuz) sumérien qui, qualifié d’Uśumgal, n’est pas seulement un esprit de  végétation, plante ou arbre, mais aussi un « grand serpent » ;[25] et en même temps il est le Dionysos grec, la vraie vigne dont le sang est le vin, que l’on peut nommer et « homme » ou « taureau », « lion » ou « serpent à têtes multiples »[26].

Le mythe du Rapt de Soma est décrit brièvement dans Ṛgveda, IV, 27, 3-4 : « Lorsque le Faucon (śyena = Avesta saeno) quittant le Ciel avec un cri perçant, emporta l’Abondance (Soma) et que Kṛṣānu, l’archer sans-pieds (ophidien), relâcha la corde et décocha vers lui une flèche […] l’Oiseau filant à toute allure, une plume volante tomba à terre ».[27] Kṛṣānu est littéralement arcitenens, « Sagittaire », associé astrologiquement dans le Ṛgveda, X, 64, 8,  à la constellation Tiṣya, la flèche[28]. L’épithète « sans-pieds » porte la marque indubitable  de sa nature ophidienne[29], dont une autre indication se trouve dans Vājasaneyi Saṃhitā, V, 34 où les paroles « Ne me fixe pas avec des yeux de Démon », c’est-à-dire avec l’œil « maléfique » du serpent ou du dragon, sont adressées aux feux sacrificiels qui représentent, dans le rituel, Kṛṣānu et les autres gardiens de Soma. Grassman (Ṛgveda, II, p.499. 1877) assimile vraisemblablement Kṛṣānu à l’Ahīśuva du Ṛgveda, X, 14 (un adversaire, associé ailleurs à Vṛtra, Arbuda et à d’autres ennemis ophidiens ou draconiens d’Indra), où il « lorgne » ou « guette »[30] le Faucon voleur de Soma[31]. Kṛṣānu apparaît à nouveau dans Taittirīya Saṃhitā, I, 2, 7 (Voir. Vājasaneyi Saṃhitā , IV, 26,27) où, dans une autre phase du mythe Soma est « acheté » à ses gardiens Svāna (« sifflement » de la corde d’un arc), Bhrāja (« fulgurance », φλοξ, flamma, Blitz), Kṛṣānu et quatre autres ; ceux-ci sont analogiquement (ibid.I, 3, 3 et Śatapatha Brāhmaṇa, III, 6, 2, 18) les noms des autels du Feu, gardiens de Soma sur terre,[32] dont le principal (āhavanīya, sacrificiel) est salué comme « Roi Kṛṣānu ». Dans Taittirīya Saṃhitā, VI, I, 10 l’épisode de l’achat de Soma est amplifié ; dans le rite mimétique, le Vendeur est représenté par Śūdra[33], qui est escroqué[34], frappé d’obscurité et battu avec un nœud de laine noir[35] ; l’acheteur, en faisant une tresse au nœud dit : « Ainsi j’entrelace les cous des serpents mordants »[36], et « Ô Svāna, Bhrāja – car « en vérité, ceux-ci gardaient Soma là-haut ».

Les sept gardiens du Soma de Taittirīya Saṃhitā, I, 2, 7, ainsi que Viśvavasu et d’autres, sont décrits dans Taittirīya Saṃhitā , I, 9, 3 comme « une troupe de Gandharvas » par laquelle les dieux sont empoisonnés. Dans Kāthaka Saṃhitā, XXXVII, 14 les Asuras, en particulier Śuṣṇa (le « Desséchant »), sont en possession de Soma, et c’est Indra, se transformant lui-même en Faucon, qui l’arrache à la gueule de Śuṣṇa[37]. Jaiminīya Brāhmaṇa, I, 287 décrit les gardiens jaloux de Soma, Agni et les Gandharvas comme Āsīviṣāḥ : des serpents venimeux ou basilics[38]. Dans le Suparṇādhyāya, 23, 1-6 et 29,6 [39], le chef probable des gardiens de Soma est « Bhauvana, l’archer sans-pieds qui se tient toujours aux aguets »[40] et parmi les autres défenseurs Gandharvas et ophidiens de la « nourriture impérissable », se trouvent Arbuda, Nathuṣa, Pipru, Namuci et Rāhu ; [41] Namuci est Vṛtra et le Gandhabba bouddhiste Māra, la Mort ; Rāhu est le dragon des éclipses analysé par Hartner, et Arbuda doit être l’Arbuda Kādraveya [42] étudié dans Aitareya Brāhmaṇa , VI, 1 et Kauṣītaki Brāhmaṇa, XXIX, I, un Āsīviṣāḥ, c’est-à-dire aux crocs empoisonnés et à l’œil maléfique[43], et un faiseur « d’incantations » (mantra-kṛt), ce dernier en référence au Ṛgveda, X, 94, un hymne à la louange des pierres à presser le Soma. La situation est encore éclaircie dans les hymnes de bataille de l’Atharva Veda, XI, 9 et10, où les serpents Arbudhi et Nyaroudi (fils d’Arbuda,  et ophidiens comme leur père) doivent, conformément au pacte conclu avec Indra lorsqu’ils avaient été conquis au commencement, de « vaincre de ce côté-ci, non de l’autre côté », c’est-à-dire de combattre maintenant pour les Devas et contre les Asuras. Ils sont donc sommés à utiliser leurs flèches et autres armes ; et, ce qui est particulièrement intéressant dans le contexte des « nœuds de serpents » dont il sera question ci-dessous,[44] de « se lier ensemble » (saṃnahyadhvam) et de « se cramponner aux armées de nos adversaires afin de les nouer et de les lier » (ādāna-saṃdānābhyam)[45] et de « les entourer de leurs anneaux » (boghebhiḥ parivārayaḥ)[46] ; les vassaux venimeux supprimeront les ennemis des Devas  en « les frappant et les mordant » (hate […] radite). De toute évidence les serpents, autrefois opposés aux dieux, sont, à présent qu’ils sont vaincus, leurs alliés jurés, qui empoisonnent et étouffent leurs ennemis en les serrant.

La version du Rapt de Soma que l’on trouve dans le Mahābhārata (dans l’édition de Poona, I, 29) est peut-être la plus détaillée et la plus intéressante. Soma est au ciel et gardé, comme dans le Suparṇādhyāya étroitement lié, par toute une compagnie de dieux belliqueux, y compris Indra et un régiment de Gandharvas. Le seul gardien de Soma désigné explicitement comme tel est Bhaumana, « l’archer incomparable », que nous identifions naturellement à Kṛṣānu, l’ « archer sans-pieds » du Ṛgveda, à « Bhauvana sans-pieds[47], l’archer aux aguets » du Suparṇādhyāya, à « l’archer sans- pieds” de Śatapatha Brāhmaṇa, I, 7, I, I, et à l’Asura Maya, le Titan artisan du Kathā Sarit Sāgara[48], et en dernière analyse à Tvaṣṭṛ (māyā vet dans Ṛgveda, X, 53, 9) et à d’autres forgerons mythiques, Hephaïstos et alia. Bhauvana sans pieds défend la Porte Active[49], décrite comme une roue tournante, tranchante comme un rasoir, brillante comme le soleil, un engin (yantra) « conçu à dessein par les dieux pour couper en morceaux les voleurs de Soma » : Garuḍa, l’Aigle, le terrasse et, s’élançant entre les rayons de la Roue, trouve Soma à l’intérieur toujours défendu par « deux serpents, énormes, redoutables, rougeoyants comme des feux flambants, dont les langues étaient comme des éclairs, terrifiantes, dont les gueules embrasées crachaient du venin, dont les yeux ne se fermaient jamais, toujours aux aguets ; être vu par l’un ou l’autre on pouvait être réduit en cendres. Aussitôt il leur jeta de la poussière pleins les yeux et, invisible, les attaqua de tous côtés et les tailla en pièces ; le vigoureux fils de Vinatā se précipita sur Soma placé entre eux et emporta à tire-d’aile l’Eau de Vie ». D’autre part, dans le Suparṇādhyāya (XXXIV, 2, 3), ce sont les battants de la Porte Active qui  sont eux-mêmes des éclairs tranchants comme un rasoir,  qui frappent de tous côtés, ne connaissant pas le sommeil ; dans Apulée, l’Aigle s’élance entre les gueules de dragons furieux (Metamorphoses, VI, 15, 18) ; dans la Genèse, III, 24 : l’« accès à l’Arbre de Vie » est gardé par des Chérubins  et « une épée flamboyante  qui tournoyait de chaque côté »[50] ; et dans Le Livre d’Enoch (LXXI, 7) « Séraphins, Chérubins et Ophannins (« Roues ») ne dorment jamais, gardent le trône de Sa Gloire ». Ces variations sont sans importance ; ce qui nous intéresse, c’est la nature et la fonction des gardiens, plutôt que leur nombre précis ou la façon dont ils sont disposés ; on peut noter toutefois que le récit du Mahābhārata s’accorde avec le vase de Gudea, où l’on trouve des Janitors postés à l’extérieur, aussi bien que des Serpents appariés à l’intérieur. « L’épée flamboyante » de la Genèse a été souvent assimilée à un « éclair »[51], ou identifiée au Logos solaire flamboyant[52], « L’Esprit le plus élevé  de la raison » de Nicolas de Cues, que doit vaincre quiconque voudrait entrer dans le Paradis de Dieu, dont « les murs sont bâtis de couples d’opposés »[53], c’est-à-dire la Porte du Soleil, Janua Coeli, « toute couverte par des rayons » et dont il est demandé : « Qui est capable de la passer ? »[54]. De même, c’est en tant Porte Active « qu’on Le voit (Brahma), comme une roue de feu étincelante, de la couleur du Soleil »[55] ; et comme telle que le Logos, le Christ, s’identifie, lorsqu’il dit : « Moi, je suis la porte ; si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé […] personne ne vient vers le Père que par moi »[56].

Le Dieu lui-même, dont les Chérubins gardent le trône, est Fons Vitae, Sapientiae et Veritatis[57] ou, alternativement, l’Arbre de Vie[58] et de Sagesse. D’habitude l’iconographie ne nous montre pas la porte elle-même ni aucune fontaine – le vase de Gudea étant une exception – mais seulement les Chérubins affrontés – (Philon les appellera δορυφόι « les gardiens »[59], avec entre eux (έυμέσψ, madhye) l’Arbre de Vie, qui est représenté généralement par un pilier aux volutes ioniques[60]. Dans l’angélologie chrétienne postérieure, les Séraphins sont considérés comme « excellent en ardeur », et les Chérubins en « plénitude de connaissance »[61], mais leur fonction principale, celle d’être gardiens, n’est jamais perdue de vue ; comme le dira Saint Bernard, les Séraphins qui couvraient les pieds et le visage du Seigneur : « étaient ainsi placés, je crois, afin que, tout comme l’entrée au Paradis est interdite aux pécheurs par des Chérubins, une limite puisse être fixée par les Séraphins à ta curiosité »[62]. Les Séraphins de l’Ancien Testament sont des « serpents volants, flambants » ; dont la signification fondamentale de la racine sāraph est « brûler », peut qualifier ou être synonyme de ou en apposition à nāhash, « serpent », comme dans Nombres, XX, 8-9 : « Façonne-toi un serpent brûlant (sāraph) […] Moïse façonna donc un serpent (nāhash) d’airain »[63]. Pour Dante, Séraphins, Chérubins et Trônes sont tous « amours »[64]. Qualifier ces puissances enflammées d’ « amours » est intéressant car nos cupidons modernes (Amori, Erotes) avec leurs arcs et leurs flèches sont à proprement parler des formes du Sagittaire lui-même, qui, lui, n’est pas seulement ardent mais aussi venimeux. Déjà dans Apulée, l’oracle milésien, qui prédisant le mariage de Psyché, décrit Amor comme une « Vipère féroce, maligne qui, ailée, vole en haut dans le firmament, subjuguant toutes choses avec sa flamme et sapant les forces de chacun avec son dard de fer », et les sœurs de Psyché l’avertissent contre son mari : « un grand serpent venimeux qui l’engloutira » ; si bien qu’à la fin elle est tellement perplexe que in eodem corpore odit bestium, diligit maritum [« dans le même corps elle hait la bête et aime l’époux »] [65]. Nous ne devons pas oublier que, dans toutes les traditions, Amour et Mort sont des aspects contrastés d’un même et unique pouvoir ; celui qui tue et celui qui ressuscite sont une seule et même Personne[66]. On peut dire de Kṛṣṇa [67] aussi bien que de la Mort[68] qu’il dévore ses enfants comme il les engendre ; et le Gandharva, aux aspects multiples, est à la fois la « Mort inexorable » (Mṛtyu) et le « bel amour » (Kāma) avec son cortège de « désirs brûlants »[69] ; une situation qui survit dans le bouddhisme où le Gandhabba Māra est aussi Kāmadeva. Dans la tradition grecque, le lien spécial d’Eros avec Psyché,  parallèle à celui du Gandharva avec les Apsaras, est plutôt tardif ; le personnage humain ailé, armé à l’origine d’un dard ou d’un javelot, avait été d’abord un esprit de fertilité plus diffus, un  Ker « de nature double, bonne et mauvaise […] fécondante ou mortifère »[70]. Les Kères sont, à leur tour, étroitement liées à d’autres créatures ailées comme les harpies, les sirènes et les gorgones ; cette dernière était originellement masculine, comme l’indique la barbe, et presque certainement d’un type solaire ; quant à la Méduse, il convient de noter qu’elle peut être représentée sous la forme d’une centaure[71]. Les Kères ou harpies peuvent également être représentées sous la forme du Sphinx, à corps de lion comme les Chérubins syriens, chiens de garde de l’Arbre de Vie. Une ancienne glose (1760) sur Les Phéniciennes d’Euripide, attribue au Sphinx une queue de serpent. Il existe aussi un type à deux têtes, celles d’un homme et d’un lion, provenant de Carchemish[72].

Il ne faut pas confondre le sphinx grec avec l’égyptien, c’est uniquement par analogie que celui-ci est nommé ainsi. Originaire de Babylonie, le type grec fut transmis dans l’Asie Mineure, dans la Phénicie, en Syrie et en Crète par l’intermédiaire des Hittites. Ce type grec est presque toujours féminin, quoiqu’il existe des exemples de sphinx barbus provenant d’Alisher Huyük (Turquie) et de Chypre[73]. En guise d’introduction à l’interprétation pénétrante des Chérubins faite par Philon, il faut poser la question : que signifiait fondamentalement le Sphinx grec ?[74] D’abord, le mot provient de σφίγγω, compris comme signifiant  « Celui qui asphyxie » ou « Étrangleur », en référence au massacre des Thébains et d’autres ; pour ma part, je préférerais dire « Contraignant », dans un sens plus favorable que péjoratif, mais le double entendre [En français dans le texte] est admissible. Car en comparant le Frg.185 d’Empédocle (σφίγγει), Timée, 58ab de Platon (σφίγγει), De Fuga, 112 (σφίγγει) de Philon, et Quis Heres, 188 (σρίγγεται) on constatera qu’une « contrainte » est exercée par le titan Ether, c’est-à-dire par Zeus père, par l’enceinte du Ciel ou par le Logos flamboyant – la Sagesse (σοφία) de Dieu[75].

Ce qui résulte de ces mises en parallèle c’est que le Logos éthéré, flamboyant, qui unifie et « contraint » toutes choses, représente réellement le Sphinx (σρίγξ). Cette conclusion est en parfait accord avec l’interprétation de Philon selon laquelle les Chérubins seraient façonnés à partir du Feu créateur et seraient la représentation des pouvoirs créateurs et directeurs du « Logos médian », « le tiers unissant les deux » (τρίτον δέ συναγωγόν  μέσον […] λόγον)[76] ; et également avec l’iconographie de l’Asie occidentale où les Chérubins sont des sphinx affrontés avec entre eux un palmier[77]. Il est plausible que cet Arbre de Vie, tel qu’on le trouve sur des poteries peintes et ailleurs, représente la Déesse Mère, Nutrix Omnium[78]. Assurément, du point de vue de Philon, cela ne l’aurait pas empêché de représenter aussi le Logos puisqu’il identifie le Logos à Sophia[79], et qu’il dit « l’Arbre de Vie, c’est-à-dire de la Sagesse » (τὁ τῆς ξωῆς ξύλον, τοντέστι σοφίας)[80]. Or le Sphinx grec, caractérisé essentiellement par la sagesse énigmatique, l’amour et la mort, est représenté typiquement assis au sommet d’un pilier ionique, exactement comme les piliers gardés par les couples de sphinx (Chérubins) de l’art palestinien. C’est certainement dans sa capacité oraculaire et comme σοφήπαρθένος qu’un tel Sphinx a du être consacré à Delphes[81], et en tant que poseur d’énigmes et de divinations que ce type est représenté par Œdipe[82]. Si cette même forme était érigée sur des tombes, elle ne symbolise sûrement pas que la Mort, mais – comme l’Aigle, ravisseur de Ganymède, ou comme le Garuḍa indien[83] –  elle représente le Psychopompe qui emporte l’âme du défunt, comme elle emporta les Thébains « jusqu’à la lumière inaccessible de l’Éther » (αίθέρος είς άβατον φαῖς)[84]. Mors janua vitae ! Car lorsque nous rendons l’esprit, comme dit Euripide ailleurs : « l’esprit s’éteint dans l’Éther (άπέσβε πνεύμ’άφέις ές αίθέρα)[85] ce qui n’est rien d’autre que « son retour à Dieu qui le donna »[86], puisque Ζεύς εσπoναίθηρ[87]. Ceci offre en même temps les éléments de base qui permettent de comprendre l’affirmation de Philon selon laquelle, lorsqu’à notre mort les éléments retournent à leur origines « l’espèce intellectuelle et céleste qu’est l’âme s’en va trouver un père dans l’Éther », la cinquième et la plus pure des essences, et celle dont l’âme elle-même était une étincelle ou un rejeton (απόσπασμα)[88] ou une portion (μοῖρα)[89] ; et équivaut à « l’entrée de l’Esprit dans l’Éther » indien (ākāśam ātmāpyeti) [90]. Le Sphinx peut être qualifié de « Chien[91] de garde du Ciel ou de l’Hadès, l’Autre Monde », mais on ne nous dit nulle part qu’il « étrangle » ses victimes, seulement que, comme le Garuḍa indien, il les dévore ou les emporte, les assimile et les ravit ; et la « contrainte » impliquée par le mot « Sphinx » est simplement celle des « liens » (δεσμοί), à savoir de l’amour (φιλίας, Timée, 32c) que le Logos impose à toutes choses, pour que leur être perdure et qu’elles ne soient pas perdues [92]. En d’autres termes, le Sphinx réunit en une forme unique la Sagesse, l’Amour et la Mort, et correspond à la « lumière intelligible » de Philon, d’où émanent les opposés perceptibles aux sens, représentés par les Chérubins affrontés[93] ; ces trois, dont seulement deux sont matériellement figurés comme sphinx dans l’art palestinien, composent la « Trinité » de Philon[94].

Traduction Max Dardevet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Le titre actuel complété par l’ajout de Kṛṣānu, suit celui qui est donné dans Symplegades, Ananda K. Coomaraswamy, La Porte du Ciel, Paris, 2008.

[1] Pratiquement aucun des signes zodiacaux grecs, chinois ou modernes n’est reconnaissable par la seule disposition des étoiles ; il n’est pas possible qu’ils tirent leur origine du ciel étoilé visible, au contraire ils y ont été superposés.

[2]  Willy Hartner, Pseudoplanetary Nodes of the Moon’s Orbit, Ars Islamica, V, pp.138-149

[3]  Les mondes « inférieurs » et « supérieurs », Hadès et Zeus, sont très souvent dans les sources grecques des aspects différents d’un même « Autre Monde » des morts ; et la même chose s’applique à la mythologie celtique et même à l’eschatologie chrétienne. Pour la Grèce, voir. Héraclite, Frg.127, « C’est un seul et même être que Hadès et Dionysos » ; Platon, Les Lois, 727d, « Hadès […] le royaume des dieux là-bas », la République, 363cd, Phédon, 68b : « Hadès, où et seulement se trouve la vraie sagesse », Timée, 44c, L’apologie de Socrate, 29b, 41a, 80d, Euripide, éd. Nauck. Frg.912 : « Souverain de tous […] par quelque appel que ce soit, tu serais nommé, ou Zeus ou Hadès toi ». J Harrison, Prolegomena, p.17, « Zeus-Hadès », G H Macurdy, Troy and Paeconia, ch.VIII, Hélios-Hadès. 1925; également Justin, Cohort, c.15, « Un Zeus, un Hadès, un Hélios, un Dionysos, oui, dans les trois choses un seul Dieu, pourquoi dis-je son nom en deux ? ». W A Nitze, dans PMLA, XXIV, 1909, parle à juste titre du mythe du « Paradis d’Hadès » des Babyloniens. L’Arallū babylonien « la contrée d’où on ne revient pas » (expression souvent appliquée au Brahmaloka indien et à l’Autre Monde irlandais), est le « Pays des Ténèbres »,  vers lequel « sont allées les âmes de tous les hommes » et où le bon reposait en paix et les méchants en esclavage (Langdon, Semitic Mythology, pp.161-162), là Ningiśzida ou Nergal règne. Ce Pays des Ténèbres, où tant de traditions situent la Fontaine de Vie, devient la Ténèbre divine des mystiques chrétiens et l’objet de la contemplatio in caligine. Dans la mythologie celtique la Joyeuse Garde et la Douloureuse Garde sont le même lieu, mais différent selon notre point de vue. Sur ce double aspect de l’Autre Monde, voir. Joseph Baudis, dans Folklore, XXVII, pp.39, 40, 1916, « l’un d’un beau pays béni et l’autre d’une région dangereuse ». Il n’y a pas de meilleure preuve de la véritable identité de l’Autre Monde Empyréen avec le monde des morts « d’où il n’y a pas de retour » (sauf pour le héros vivant qui accomplit la Quête de Vie) que celui offert par le convivium (banquet) du défunt avec les Gandharvas et Yama (le Dieu de la Mort) dans Ṛgveda, IX, 113 et Atharva Veda, IV, 34, 4. Comme le dit également Maître Eckhart : « Le Royaume de Dieu n’est que pour celui qui est totalement mort ». De même dans le dialogue du Ciel et de l’Enfer de Boehme, il est souligné que le feu est un mais ressenti comme amour ou colère selon la nature de l’expérimentateur. La distinction du Ciel et de l’Enfer est exotérique, et, pourtant inévitable qu’elle soit à ce niveau, n’a aucune raison d’être au niveau de référence métaphysique auquel se rapportent nos symboles et où la distinction n’est pas celle de lieux mais d’états d’être.

[4]  G de Jerphanion, La voix des monuments, p.16.1930. Dans l’état actuel de notre science on aurait plutôt pu dire « doit chercher » plutôt que « cherche » !

[5]  Euripide, Les Bacchantes, 284.

[6]  G Vigfusson et R York Powell, Corpus Poeticum Boreale, I, pp.20-23 et 463-466. Pour ces auteurs « fils » ou « soma » proviennent de la racine Suftung (Suptungr = Sum-t-ung) ; ils remarquent que  « l’hydromel sacré a été récupéré de l’Hadès au-delà de la périphérie de la terre habitée ».

[7]  Maître Eckhart, Ed. Pfeiffer, p. 125.

[8] Ṛgveda , IX, 86, 15 et 27, Taittirīya Saṃhitā, III, 5, 71, Śatapatha Brāhmaṇa, III, 6, 2, 8 etc. S. Langdon, The Legend of Etana, p.3. Paris.1932.

[9]  Ṛgveda, X, 85, 34, Aitareya Brāhmaṇa, VII, 31, Śatapatha Brāhmaṇa, III, 4, 313 et XII, 7, 3, 11.

[10] Dans lequel il est enfermé ou emprisonné ; Ṛgveda, X, 68, 8 et duquel il est extrait ; Ṛgveda I, 93, 6 comme le « miel du rocher », Deutéronome, XXXII, 13, 31. Soma fut placé ou caché dans ce rocher par Varuṇa (Ṛgveda, V, 85, 2 varuṇo […] adadhāt somam adrau), à qui il appartient et à qui il est assimilé avant sa purification (Ṛgveda, IX, 77, 5 ; TS, I, 2, 10, 2 varuṇo’si dhṛtavrato, vārūṇam asi VI, 1, 11, varuṇo iva, Taittirīya Brāhmaṇa, I, 7, 8, 3, soma rāja varuṇaḥ, Śatapatha Brāhmaṇa , III, 3, 4, 25, 29, 30 vāruṇya), ou désenchantement sacrificiel, comme il l’est à Mitra après. De même, Agni est Varuṇa à sa naissance, et devient Mitra lorsqu’il s’enflamme (Ṛgveda, V, 3, 1, AB, III, 4). Ces deux, Agni et Soma, sont les principes « sec et humide » de la vie. Dire qu’ils sont dans ou au pouvoir de Varuṇa, c’est dire qu’ils sont dans ou au pouvoir de Vṛtra ; ils le sont explicitement dans Taittirīya Saṃhitā, II, 4, 12. C’est donc pour « Agni et Soma » qu’Indra frappe Vṛtra (TS, VI, 1, II, 6).

Dans le Rapt de Soma (soma haraṇa) des bas- reliefs de Bādāmi, Varuṇa et son makara sont assis en gardiens à côté de Soma. À l’emprisonnement de Soma par Varuṇa répond celui, dans le jeune Edda, de l’Hydromel sacré dans la montagne Knitberg (Lockhill), auquel il n’y a nul accès sauf au travers de sa paroi rocheuse.

[11] Nicolas de Cues, De Visione Dei, ch.9.

[12] Jaiminīya Upaniṣad Brahmaṇa, I, 5, 1.

[13] Jean. X, 9.

[14] Apulée, VI, 15. Voir. La formule mā mā santāptam : « Ne me brûlez pas » (Vājasaneyi Saṃhitā, V, 33, etc.) que le sacrificateur adresse aux montants de la porte (dīkṣā et tapas, Śatapatha Brāhmaṇa, III, 6, 2, 9) du sadas en entrant dans cet équivalent rituel de l’Autre Monde ; et également dans les Symplegades pour apparaître dans le Festschrift du Professeur Georges Saton.

[15]  « La Porte du Ciel » : avarodhanaṃ divaḥ (Sāyaṇa, bhūthānaṃ pranveśanam) est la Porte du Soleil (Janua Coeli) de la Muṇḍaka Upaniṣad, I, 2, 11 et de la Maitri Upaniṣad, VI, 30 etc., et la Sortie du Monde que la Chāndogya Upaniṣad, VIII, 6, 5 qualifie « de porte d’entrée pour le gnostique, barrière pour l’agnostique » (lokadvāram, viduṣāṃ prapadanam, nirodho’viduṣām) ; voir. Parménide dans Adv. Dog. C’est en référence à cette limite que celestial penetralia [penetralia célestes] (diva ārodhanāni, Ṛgveda, IV, 7, 8) que l’Oiseau de Feu (Aigle ou Faucon) connaît si bien (viduraraḥ, Ṛgveda, IV, 8, 4, vidvān), sont ainsi appelés. Le convivium (banquet) de Ṛgveda, IX, 113, 8 et Taittirīya Saṃhitā, II, 5, 5, 4 (sadhamādam), (Voir. XI, 4 ; III, 3 et VI, 5, 5, 2) correspond à la conception grecque de συμπόσιον τὠν όσιων dans l’Autre Monde, voir. Platon, La République, 363cd et Phédre, 247b ; et dans G Weicker, Der Seelenogel, fig.9, 1902, avec le vase peint des cinq buveurs allongés autour de l’Arbre de Vie.

[16]  La descente de Soma est pour le bien de « tous les dieux », ancêtres et hommes, c’est-à-dire de tous les sacrificateurs (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 9, 3, 6, Taittirīya Taittirīya Saṃhitā, 4, 3, 1). « Tous les dieux » fait référence en particulier aux facultés de perception sensibles de l’âme (prāṇaḥ) « dans laquelle on sacrifie métaphysiquement » (Taittirīya Saṃhitā, VI, 14, 5) effectuant ainsi l’ « Holocauste intérieur ».

On insiste souvent sur la supériorité intellectuelle des Gandharvas sur les dieux, dont la préoccupation naturelle est le plaisir, ceux-là connaissent et répètent les Védas et sont des experts du Sacrifice, en même temps qu’ils sont les possesseurs et gardiens originels de Soma (Ṛgveda, X, 177, 1-2, Atharva Veda, II, 1, 1, 2, Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, III, 3, 1, Śatapatha Brāhmaṇa , III, 2, 4, 5 et XI, 2, 3, 7, Taittirīya Saṃhitā, VI, I, 6, 6 etc.) Lorsque Purūravas, à qui l’immortelle Apsaras Gandharvī a daigné s’unir, est admis dans leur palais (comme dans la mythologie celtique, les héros sont admis ou parviennent à pénétrer dans des châteaux de l’Autre Monde), la faveur la plus élevée qu’il puisse demander est de devenir l’un d’entre eux ; c’est seulement en sacrifiant qu’en définitive il pourra le faire. Purūravas (représenté dans le rite par le bâton supérieur (pramanthana) [une des deux pièces de bois sacré, servant à faire le feu sur l’autel], peut être comparé à Prométhée, mais il ne vole pas le feu sacré, on le lui donne. Un argument supplémentaire pour l’équation pramanthana = Prométhée, c’est que la production  du feu par le frottement est nommée upavarohaṇa, littéralement « l’acte de faire descendre ».

Les Gandharvas de notre texte correspondent aux Igigi du mythe d’Etana, et les Dieux aux Annukani ; ceux-là, les « Dieux du ciel et de la terre, haïssaient le genre humain », tandis que les seconds, en revanche, les « Dieux du monde inférieur, prévoyaient pour lui de bonnes choses ». (S Langdon, loc, cit, pp.1-10).

[17] Encore une fois, les Symplégades. L’initiation et l’ardeur, représentées dans le rite par les montants de la porte du sadas, invoquées comme divines et priées de ne pas lui nuire, qui qualifient le sacrificateur pour y entrer.

[18] Rakṣa (racine RAKṢ- : « protéger », « garder », αρέω, arceo) correspond au grec αλκα (la Chimère « cracheuse de feu », aux « trois corps », la gardienne d’Euripide, Ion, 202, 4), voir. Clément, Stromata, V, 7, 2, άλκηῆς (sphina). Rakṣa, rakṣas, rākṣasa acquiert son sens péjoratif de « démon » seulement du fait qu’en tant que gardien de Soma le Rakṣa est hostile au Sacrifice ; ceci est particulièrement clair dans Śatapatha Brāhmaṇa, III, 9, 3, 15 et 18-22, en parallèle avec la récupération de « l’ichor (rasa) du Sacrifice » c’est-à-dire de Soma, de l’eau.

[19]  Le mélange de sang et de Soma dans les veines de Vṛtra (Śatapatha Brāhmaṇa, XII, 7, 3, 4) est également indiqué chez la Gorgone d’Euripide, Ion, 1003-1015, où la vieille nourrice a deux gouttes de sang de la Gorgone, l’une d’un poison mortel, l’autre « un remède pour guérir la maladie et pour favoriser la vie ». D’où « l’ingestion séparée » védique (vipānam, Vājasaneyi Saṃhitā, XIX, 72, Commentaire : viviktaṃ lobitāt somapānam) ; voir. M Fowler, The Role of Sura in the Myth of Namuci, JAOS, 62, pp.36-40, et C R Lanmann, The Milk-drinking Haṃsas of Sanskrit Poetry, JAOS.19 (2), pp.150-158. Vṛtra, Namuci, désignent  le même principe ophidien, premier possesseur des sources de la vie.

[20] « Arbre de dragon » et « Sang de dragon » sont  des appellations traditionnelles de divers arbres produisant des baumes, et du vin. Ces conceptions sous-tendent des connotations symboliques de l’ambre, des résines, des gommes, des huiles végétales et de l’encens comme agents de protections contre la corruption. Le grec άμβροσία, l’arabe anbar et le sanskrit amṛta ont une signification apparentée et probablement une étymologie apparentée.

[21] Śatapatha Brāhmaṇa, III, 3, 2, 6 et III, 3, 10, Taittirīya Saṃhitā, VI, I, II, etc.

[22] Dans la mythologie védique, les Dieux (Devas) et les Titans (Asuras) sont tous deux enfants de Prajāpati ; mais les Dieux sont les frères cadets des Titans, et cette « fraternité » est synonyme « d’hostilité », comme par exemple celle entre les hommes et « les serpents » (Śatapatha Brāhmaṇa, IV, 4, 53) ou envers Namuci, Pāpman en particulier dans Śatapatha Brāhmaṇa, XII, 7, 3, 4. Ananda K. Coomaraswamy, Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel dans la perspective indienne du gouvernement, note.22, Milan, 1985.

[23] L von Schroeder, Herakles und Indra, p.45.Vienne.1914.

[24] S Langdon, loc cit, pp.94-96, Frankfort, Seal Cylinders, p.124, R C Thompson, Gods and Evil Spirit of Babylonia, I, pp.200 ff, tab.K.II.183-195, E D van Buren, The Flowing Vase and the God with streams. 1933. La Fons Vitae est une Fontaine à la fois de Vie et de Connaissance ou Vérité (Voir. Philon, Fug, 97, 197, 9, 1). Le résultat notable obtenu de la défaite par Indra de Vṛtra-Namuci (à qui on peut appliquer les mots d’Ézéchiel, XXIX, 3, «  le grand dragon […] toi,  qui as dit ‘‘Mes Nils sont à moi’’ », est la libération des eaux ou « l’ouverture des vannes (khāni) des “sept rivières” » (Ṛgveda, II, 15, 3 et IV, 28, 1, Taittirīya Saṃhitā , II, 3, 14, 5 etc.) ; c’est-à-dire des sept courants de conscience qui franchissent les portes des sens pour d’atteindre leurs objets (Atharva Veda, X, 2, 6, Kaṭha Upaniṣad, IV, 1). « Nos sens et perceptions, tels qu’ils sont, sont une seule goutte dans ces rivières » (Rūmī, Mathnawī, I, 2719). Le sens de cette libération des eaux vives à partir de leur source immobile mais inépuisable, elle n’est nulle part mieux indiquée que dans le récit de L’aventure de Cormac au Pays de Promesse, où Manannan explique que « la fontaine que tu as vue, avec les cinq ruisseaux qui en jaillissent, est la Fontaine de la Connaissance, et que les ruisseaux sont les cinq sens par lesquels la connaissance est obtenue. Personne n’aura de connaissance s’il ne boit d’un seul trait des deux, de la Fontaine elle-même et des rivières » (T P Cross et C H Slover, Ancient Irish Tales, p.507, 1936).

Les rivières sont de Soma (Ṛgveda, I, 32, 12). Le lieu de « la source intarissable d’Hydromel » à laquelle puisent les Maruts (les pouvoirs de perception précités), est « là où les serviteurs du Dieu se réjouissent (madanti) », identifié par Sāyaṇa au Brahmaloka (Ṛgveda, I, 64, 6 et I, 154, 51), comme il doit être aussi la demeure de Varuṇa « où les rivières ont leur source » (Ṛgveda, VIII, 41, 2). Dans tous ces contextes le Héros de la Quête est Indra, et c’est par ses exploits que la Terre Gaste reçoit une vigueur nouvelle.

[25] S Langdon, Tammuz and Ishtar, pp.114ff

[26]  Euripide, Les Bacchantes, 284 et 1017-1020, J Harrison, Prolegomena to Greek Religion, pp.410-453. 2ème éd. 1908.

[27] Le motif de la « plume tombée » [à terre] partie intégrante de notre mythe et indispensable à la compréhension de l’iconographie des couronnes et capes de plumes et à l’utilisation des plumes dans les rites de guérison, sujet qui exigerait un examen beaucoup plus détaillé ailleurs. Dans de nombreuses versions du Śatapatha Brāhmaṇa, la plume ou feuille tombée devient le palāśa, arbre de vie et de connaissance sur terre. Dans la version du Mahābhārata,  Indra lance son foudre contre Garuḍa, alors que celui-ci s’envole avec Soma, et bien que Garuḍa ne puisse être blessé, même par cette arme cosmique, volontairement il laisse tomber une plume, disant : « Jamais vous n’en trouverez le bout ». Dans le Mantiq at-Tair persan il s’agit du Simorgh (Saeno Muruk, Vetethragna), équivalent des Śyena et Garuḍa indiens qui laissent tomber une plume et on nous dit qu’elle tombe sur le sol chinois, et que le dicton « cherchez la connaissance en Chine », souligne cela. (E G Browne, Literary History of Persia, II, p.512). Dans le conte bien connu, Contes de l’enfance et du foyer de Grimm, « un arbre qui pousse dans le jardin d’un roi produit des pommes d’or, lesquelles sont volées dès qu’elles mûrissent. Le plus jeune fils du jardinier, armé d’un arc et de flèches, monte la garde ; quand le voleur paraît, il décoche une flèche, mais ne tombe au sol qu’une plume d’or. Pour certaines  représentations caractéristiques de l’archer et de l’oiseau voleur, dans leur pertinence mythologique, voir. Karl von Spiess, Der Schusse nacht dem Vogel, dans Jhrb. f. hist. Volkskunde, II, p.102.1926, et V, VI, pp.212f,1937, et pour une autre bonne illustration, Ananda K. Coomaraswamy, Mediaeval Sinhales Art, pl. XVI.

[28] En astrologie Ninurta a été identifié sous divers noms avec le complexe d’étoiles sous Sirius, il es nommé « la flèche », l’arc de l’étoile composé de e, d, t du Canis Majeur, et de k, l de Puppis et Orion, où les Babyloniens ont probablement vu un chasseur gigantesque tirant une flèche avec son arc (S Langdon, ibid, p.135). Ninurta est une divinité ophidienne de la fertilité ou draconienne, l’adversaire de Zü (Imgid, Aquila) associé ou à identifier avec Ningiśzida (Siru,  Hydra, l’un des gardiens des portes d’Anu), Ningirsu, Ab-u et Dumuzi (Frankfort, Gods and Myths on Sargonid Seals, Iraq, I, pp.10, 11, 16 et 27. 1934. E D van Buren, The god Ningiśzida, Iraq ; pour une discussion plus ample ci-dessous).

En astrologie chinoise, le Sagittaire a trois parties ou aspects dont celui associé à la Licorne (hsieh, ou chai hsieh, 245, 4423, ou lu comme chi = reptile) est le génie des opérations militaires. Le chai hsieh distingue le bien du mal et encorne les méchants ; il mange et est furieux. Dans la peinture II.4001 de Boston, le Sagittaire apparaît avec les autres signes du zodiaque entourant le « Bouddha à la Crête Flamboyante » (prajvāloṣṇiṣā) qui doit être considéré comme le Soleil (Ṛgveda, X, 149).

[29] « Sans-pieds » en sanskrit apad, comme τὁ ἁπουγ de Philon, De Migratione Abrahami, 65. Dans, Śatapatha Brāhmaṇa, I, 6, 3-9 l’adversaire d’Indra est Vṛtra « ce qu’il est enroulé » et Ahi (le serpent) « ce qui est sans pieds ». Voir. Ananda K. Coomaraswamy, La face obscure de l’aurore, Anges et Titans, Ātmayajña : le sacrifice de soi, et Sire Gauvain et le chevalier vert, Indra et Namuci, La doctrine du sacrifice, Paris, 1978.

[30] Ava didhet = dipyati impliquant un regard brûlant, voir. Bhagavad Gītā : netrāg- nināsvīṣavad didhakauḥ.

[31] Sur Kṛṣānu (et aussi Savitṛ, Rudra, Tvaṣṭṛ, Varuṇa, Vṛtra, Gandharva comme gardiens de Soma et en ce sens, du point de vue humain, maléfiques) voir A Bergaigne, La religion védique, T.III, pp.30-67.1883 ; et sur la signification de l’épithète Asura, pp.67-88, avec la conclusion que ce terme « doit désigner des êtres conçus comme les maîtres des sources de la vie et comme habitant un séjour mystérieux ». Comme A Bergaigne l’a clairement vu, l’objet de notre Quête n’est pas « la vie au sens ordinaire, empirique, mais les sources de la vie, c’est-à-dire la Fons Vitae elle-même ». J’en profite pour dire qu’à mon avis A. Bergaigne demeure jusqu’à ce jour le plus grand des chercheurs européens de la mythologie du Ṛgveda.

[32] Les Gandharvas proposent aux dieux : « Tout comme nous étions les gardiens de Soma (gopataraḥ) dans le monde là-haut, ici aussi nous serons ses gardiens » (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 6, 2, 18). Pour des raisons analogues, les portes des temples indiens sont gardées aujourd’hui encore par des Janitors (dvārapāla) ayant la forme de rakṣasas ou de nāgas.

[33] Représentant les Asuras de la Kaṭha Saṃhitā, XXXVII, 14. On peut déduire du Ṛgveda, où le mot śūdras n’apparaît qu’en X, 90, 12, qu’originellement il n’y eut que trois castes, mais que les asuras, dāsyus, panis etc., sont les śūdras. Ceci est explicite dans Taittirīya Brāhmaṇa, I, 2, 6, 7 et, VI, I, 6-11 où les brāhmaṇas, kṣatriyas et vaiśyas sont des Aryens avec leurs dieux respectifs, et les  śūdras, auxquels ne correspond aucun des dieux, sont par conséquent exclus du Sacrifice. Cette division des hommes en deux classes, correspondant à une distinction entre Dieux et Titans, chacune ayant ses propres fonctions (dharma, Taittirīya Brāhmaṇa, I.8.3), se rencontre dans de nombreuses cultures. (Voir. A M Hocart, Les castes).

[34] Tout comme l’Hydromel d’Odin, remporté en prévalant sur Gunnlod, est « acquis frauduleusement » (vel-keptz), dans les versions indiennes, Soma est acheté au prix de Vāc (chère aux Gandharvas car « ils affectionnent les femmes »), qui est en réalité la messagère des Dieux et donnée par ceux-ci seulement afin qu’elle puisse leur revenir avec le Soma volé. (Taittirīya Saṃhitā, I, 2, 4, 2 etc.) ; Variante du motif largement diffusé de la Fausse Fiancée. (Voir. G Dumézil, Le festin d’immortalité, pp.21, 25, 224, 228. Paris, 1924.

[35] « Avec du plomb, l’esprit et du fil de laine, les poètes attentionnés (les prêtres qui sacrifient) tissent un fil » (Vājasaneyi Saṃhitā, XIX, 80). Sur les qualités apotropaïques du plomb ou encore de la « mousse de rivière » voir. Atharva Veda, I, 16, 24, Vājasaneyi Saṃhitā, XXI, 36, Taittirīya Brāhmaṇa , Pañcaviṃśa Brāhmaṇa, I, 7, 8, 2 et Bloomfield, JAOS, vol 15, p.158. Le nœud peut avoir été attaché sous la forme du nodus herculaneus, discuté ci-dessous et dont le caducée est un autre type.

[36] Viśvavasu, le Gandharva céleste, Savitṛ, le Soleil, opposé à Indra qui ouvre les portes des rochers, bien « qu’il connaissait très bien le pouvoir du serpent » (Ṛgveda, X, 139, cf. Taittirīya Saṃhitā, VI, I, II, 5, 1).

[37] Voir. Les « māyāḥ de Śuṣṇa » (Ṛgveda, VI, 20, 4) (= Vṛtra dans Ṛgveda, X, III, 6) sont mentionnés dans le contexte du Rapt de Soma, sont sans aucun doute les mêmes termes que yā me māyāḥ du Suparnādhyāya, 25, 1, les dispositifs ou « engins » qui  protègent Soma contre Indra ; tout comme le cakra (la roue) de 25, 3 correspond à amṛtasya yat rakṣakaṃ cakra-yantram de Kātha Sarit Sāgara, VI, 3, 47. De même nature doit avoir été le « filet et piège » qui semble avoir été fabriqué par Enki, le « dieu charpentier » afin de protéger l’entrée du monde souterrain des morts, où Gilgamesh par à la recherche d’Enkidu (Langdon, loc cit, pp.263, 265), le « filet et piège » de Shamush (le Dieu-Soleil, Marduk) qui dans le mythe d’Etana sont respectivement la Terre et le Ciel et une défense contre Zü (Langdon, Legend of Etana, pp.22, 23, 1932. Bien sûr, nous ne pouvons pas être d’accord avec Langdon et dire que l’épopée de Gilgamesh est historique, mais plutôt assimiler Gilgamesh à Etana et considérer les deux comme des « rois d’Erech » seulement par évhémérisme. Pour la grande antiquité et l’origine sumérienne de l’épopée de Gilgamesh, voir. S N Kramer, Bull, Am, Sch, Or, Res, n°94.1944

L’Autre Monde défendu par des dispositifs automatiques, des automates armés et une porte s’ouvrant et se refermant comme de son plein gré,  est l’un des aspects les plus caractéristiques de notre mythe dans ses recensions non seulement  orientales mais aussi occidentales, notamment  celtiques. Voir. J D Bruce, Human Automata in Classical Tradition and Mediaeval Romance, Modern Philology, X, pp.511-526, 1913, M B Ogle, The Perilous Bridge and Human Automata, Modern Lang, notes.XXXV, pp.129-136 (1920), Ananda K. Coomaraswamy, Symplégades. Pour le Pont, voir. D L Coomaraswamy, Le Pont périlleux du Bonheur, La Porte du Ciel, Paris, 2008.

[38] Sur Āśīviṣa (« poison à crocs »), voir. HJAS, IV, p.9 note.2 et p.131. Āśīviṣa correspond à l’Azhivishapa de l’Avesta et à l’Azhi Dahāka ophidien de l’épopée de Zohāk, représenté sous forme humaine avec une paire de serpents lui émergeant des épaules, et en qui nous reconnaîtrons plus tard la vieille divinité sumérienne Ningiśzida. Azhi-Dahāka est décrit comme un Druj (sanskrit druḥ « traître ») à trois têtes et à six yeux, (dans le Ṛgveda, druḥ qualifie Ahi, Suṣṇa, etc., et dans l’Atharva Veda, II, 10, 1, Varuṇa et XVI, 6, 10 Namuci), vaincu par Thraetona (dans l’épopée de Farīdun), Yasth, IV, 34, tout comme le Viśvarūpa à trois têtes, frère ou doublet de Vṛtra est vaincu par Trita (Ṛgveda, II, 11, 19 ; X, 8, 8). Ce Trita (Ārtyac, voir. Ṛgveda, X, 45, 5) ami d’Indra, est une forme d’Agni (ou de Soma), qu’on peut rapprocher de Zeus Tritos, Pantocrator, Soter, Oikophulax (Eschyle, Chœurs, 245, Supl.25 et Euménides, 759) ; Voir. Macdonell, Vedic Mythology, pp.671ff, K Ronnow, Trita Āptya. Uppsala.1927, et M Fowler, Polarité in the Ṛgveda, VII, pp.115-123.

De même l’Ātar de l’Avesta, le Feu, vainc Azi-Dahāka dans une lutte visant la possession de « la Gloire que l’on ne peut s’approprier de force » (hvareno, Yasht, XIX, p.46f) ; et il n’y a aucun doute que cette Gloire ( « le règne, la puissance et la gloire » du Nouveau Testament) est la même « Gloire inaliénable » (anapajayyaṃ yaśas) remportée par les Dieux védiques sur  l’Asur-Rakṣas, ou sur Makha-Soma (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 4, 2, 8, Taittirīya Brāhmaṇa , V, I, 1-5, Pañcaviṃśa Brāhmaṇa, VII, 5, 6), voir Dīgha-Nikāya , II, 259 « les divinités Vāruṇa avec Varuṇa et Soma en Gloire » (yaśas).

Encore une fois, Keresāspa (de l’épopée Garshāsp, en sanskrit Kṛśāsva) surmonte

Azhi-Dahāka avec le Serpent mangeur de chevaux Sṛvara et Gandharva à talons verts (archétype de Khwāja Khidr, le Maître de l’Eau de Vie) dans la mer aérienne Vouru-Kasha (Yasht.V.38 : XI. 38-41 etc.) ; et d’après Gokard, l’ « Arbre du Faucon » (seno), c’est-à-dire, l’arbre Haoma blanc (Soma) qui y pousse (Bundahish.XIV.II etc.,), et le Faucon est une des formes de Verethragna (de l’épopée Bahrām, sanskrit Vṛtṛhan), « le tueur de Vṛtra », une épithète caractéristique d’Indra et parfois de ses alliés. Clairement toutes ces batailles furent livrées pour accéder aux Sources de Vie, gardées jalousement à l’origine par des Serpents et/ou des Gandharvas. Comme l’a montré M Dumézil, le Gandharewa de l’Avesta et ses congénères sont chez eux dans les eaux, et « en rapports (hostiles d’ailleurs) avec le monde des morts » (Le problème des centaures, p.85. 1929). Sur ces questions voir. E Benveniste et L Renou, Vṛtra et Vereoragna, Paris.1934, L. von Schroeder, Heracles und Indra, pp.43-8 Denkshriften d.k Akad. Wiss. Wein, 58 Bd, 3 Abth.1934.

[39] Le Livre de l’Aigle (ou du « faucon »). Voir. K F Johanson, Solgageln i indian, Uppala.1910, et J. Carpentier, Die Suparnasage. Uppala. 1920.

[40] Encore l’archer ophidien, probablement Kṛṣānu. Il y a un lien sémantique intime entre le serpent et le tir à l’arc, du fait qu’il existe réellement des espèces de serpents qui crachent du venin en visant les yeux de leur victime, et que les flèches sont souvent empoisonnées, sanskrit iṣu de la racine IṢ-, pour « projeter » ou  « envoyer », apparaît également dans le terme viṣa, « poison » par exemple viṣa-dhara, « porteur de poison », « serpent ». Iṣu et viṣu  sont apparentés à ιός, qui est (1) « flèche » et (2) « poison », surtout  de serpents (Euripide, Ion, 1015). Ιοβόλέω (1) tirer des flèches et (2) émettre un poison. Ιοβόλος,signifie « décocher une flèche », et τά ιοβόλοι les « bêtes venimeuses », dans Ion, 997 : Οώρακ’έϰίδγς, περιβόλοις ώπλασμένον, et dans Les Phéniciennes, voir.  Iliade, V, 739 περἱ […] εστεφάνωται n’est pas exactement le Chemin « clôturé par des serpents anneau sur anneau » mais plutôt « entouré d’un cercle de lanceurs (de poison) d’Échidna », c’est-à-dire des serpents. Effectivement l’iconographie nous présente une frange de serpents aux gueules ouverte sur le bouclier d’Hérakles, décrit par Hésiode, qui disait qu’ils faisaient s’entrechoquer leurs crocs lorsque Hérakles se battait. Tous ces contextes mettent en évidences la valeur apotropaïque d’un certain nombre de motifs « décoratifs » qui sont discutés plus loin, voir. Ananda K. Coomaraswamy, La ‘‘Concaténation’’ de Leonardo et l’iconographie des ‘‘Nœuds’’ de Dürer. L’équation « flèches = serpent se rencontre dans des contextes indiens et aussi chez Eschyle, Euménides, 181-182, où Apollon dit : « Partez de peur que vous ne soyez touchés par un serpent étincelant ailé tiré de la corde d’or de l’arc ». L’ensemble du parallèle se déplace en un cercle ; les flèches sont comme des serpents parce que leurs têtes sont vénéneuses, et les serpents sont comme des archers car ils frappent comme avec des flèches empoisonnées. Voir notre « toxine », de τοξον, « arc », et τοξα, « flèches ».

[41] Ceux-ci, des adversaires bien connus d’Indra dans le Ṛgveda, apparaissent maintenant comme gardiens de Soma pour Indra. Nous avons déjà vu qu’une fois Soma enlevé, ses anciens défenseurs continuer d’exercer leurs fonctions d’origine, mais désormais comme vassaux du vainqueur et pour lui. D’ailleurs, le « voleur », ou bien restitue Soma à Kṛṣānu en le versant sur l’autel du feu auquel on s’adresse en le nommant  « le roi Kṛṣānu », ou en le buvant il en fait une offrande dans le feu de son ventre, qui est en réalité celui de Vṛtra. En effet le mythe ne vise pas un événement unique ou un sens unique, mais un cycle sans fin, celui de la « circulation de la Pluie des Richesses ».

[42] Matronyme de Kādru ; la Déesse Terre, et mère de tous les serpents, terrestres et célestes, de Kaśyapa leur père ; Kaśyapa étant également le père de Garuḍa (Tārkṣya), par Vinatā. Ainsi Aigle et Serpent, bien qu’opposés l’un à l’autre, sont des fils du même père, de mères différentes. On peut comparer Kadrū à la mère Babylonienne Ummu, (ambā védique) Khubur, « la mère des serpents venimeux, comme si elle était divine, que l’effroi et l’horreur puissent l’emporter sur celui qui les regarde », et de onze autres monstres dont l’homme-scorpion (girti-bili = Sagittaire) et le Dragon à cornes (muśḥuśśu), la Vipère, le Chien déchaîné, l’homme-poisson (kulilu = Aquarius).

[43] Arbuda lui-même joue le rôle du grāvan-stut [le prêtre qui loue les pierres qui servent à pressurer les tiges du Soma] dans le Sacrifice de Soma, mais en raison de son regard funeste on lui bande les yeux, et c’est par analogie que dans la mimesis rituelle, dans laquelle le Sacrifice originel est « étendu » ou « prolongé » », le prêtre  du grāvan-stut  a également les yeux bandés afin de se protéger contre le mauvais œil.

[44] Voir. Ananda K. Coomaraswamy, Sarpabandha, La doctrine du sacrifice, Paris, 1978.

[45] Saṃdāna est étymologiquement σύνδεσμος.

[46] Nous ne pouvons qu’indiquer en passant que bhoga ou bien « l’anneau » (d’un serpent) est « la jouissance » ; de même pour Philon, le « serpent », en tant que principe psychologique, est delectatio, ήδονη, le plaisir.

[47] Bhaumana et Bhauvana sont des adjectivaux, et tous deux sont des épithètes de Viśvakarman, « le créateur de toutes choses » et « le sacrificateur de tout » de Śatapatha Brāhmaṇa, XIII, 7, I, 14, 15 et de Kauṣītaki Brāhmaṇa, VIII, 21, d’ailleurs aussi d’Indra ou d’Agni. Ṛgveda, XIII, 48, 2 (Atharva Veda, II, 2, 2) parle du Gandharva céleste à la peau de soleil comme « le porteur du vol des dieux » (avayātā haraso daivyasa), c’est-à-dire comme le défenseur solaire de Soma, Atharva Veda. II, 2 le nomme « Seigneur du Monde » (bhuvanasyapati), ce qui est aussi dans Ṛgveda, IX, 86, 36. En somme, Bhaumana-Bhauvana peut être considéré comme « l’Architecte Divin ».

[48] Dans le Kathā-Sarit-Sāgara, VI, 3 Somaprabhā, fille de Māyā, exhibe une variété d’automates, expliquant que ces « engins astucieux » (māyā-yantra)  « furent conçus jadis par mon père ». Cinq sortes sont basés sur les cinq éléments « comme ce grand engin qu’est le monde », mais l’engin qui a la forme d’une Roue (cakra-yantra) qui garde l’Eau de Vie (amṛtasya yat rakṣakam), celui-là seul le comprend. Bien entendu cette roue est une forme de la célèbre « Porte Active » qui apparaît aussi comme une roue dans de nombreux contextes celtiques, notamment dans Wigalois (Voir. A C L Brown dans Iwain, pp.80-81. 1903).

On peut observer que le mot automaton (automate), qui pour les grecs et les indiens peut qualifier des personnes, signifie proprement  « celui qui agit, mû par sa propre volonté et son propre pouvoir », un agent indépendant et intelligent, kāmacārin. Un équivalent presque identique est τὁξαυτοὐ κινείν, et cet « auto-mouvement », impliquant « un pouvoir véritablement autonome », (ένκράτεια, svarāj) est le caractère essentiel des êtres vivants et notamment de l’ « âme » (Platon, Les Lois, 885d, 896a : « c’est en ce qui concerne le meilleur en nous que nous sommes véritablement les jouets de Dieu » (ibid. 644, 803, 804). Quelque chose  de ce genre a survécu au 17ème siècle lorsque Robert Boyle pouvait encore parler de « ces automates vivants, les corps humains » (Voir. Maitri Upaniṣad, II, 6). Automaton, en un sens moderne, signifie : « celui qui suit une routine sans intelligence active » (dictionnaire Webster, 3), presque le contraire ; alors que l’automaton traditionnel n’a rien en commun avec le « mécanisme » des matérialistes, dont la croyance en un univers mécanique constitue une reprise de l’illusion de la machine à mouvement perpétuel.

Par conséquent, si l’on nomme les Portes d’Or des automates, et que l’on dise qu’elles « rugissent », et qu’on les représente dans l’art comme « ailées », tous ces symboles verbaux et visuels signifient la même chose, à savoir, que les Portes divines (devī dvārau) sont des êtres vivants, dotés de pouvoirs et d’âmes, et telles que seul un Architecte divin eût pu les concevoir. En revanche les automates fabriqués par la main de l’homme sont,  comme toute œuvre d’art, des imitations des artificiata (artifices) divins (Aitareya Brāhmaṇa, VI, 27) ; c’est seulement « comme si » qu’ils se meuvent.

[49] On retrouve La Porte Active (= Symplégades) dans toutes les traditions de l’Ancien et du Nouveau Monde. Dans Iliade, V, 749-750 et VIII, 393-394, il est dit : « S’ouvrant d’elle-même, la porte rugit […], cette porte dont les gardiennes (αύτόμαται δέ πύλαι μύκον ουραυού, voir. Taittirīya Saṃhitā, V, I, 11, 2 : kavayaḥ […] dvāro devīḥ), sont les Ωραι (“Heures”) : leur charge est de veiller à l’accès du vaste ciel de l’Olympe, et d’élever ou d’abaisser l’épaisse nuée (Gr : νέφος, Skt : nabha, Lat : nimbus) » ; ces automates, on ne peut guère en douter, furent conçus pour Zeus par Hephaïstos. L’intérêt de ce passage est accru pour nous par le fait que les Ωραι (Horae) signifient « Saisons » (ou parfois « Destins ») et que, dans Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, III, 14, 1, voir. Jaiminīya Brāhmaṇa, I, 18, c’est précisément les Saisons qui éloignent de la Porte du Soleil  quiconque, l’ayant atteinte, est incapable de donner le bon  responsum (réponse) ou signum (signal) au gardien : « Qui est là ? ». Le « rugissement » de la Porte est indiqué visuellement sur de nombreux sceaux babyloniens par la représentation des lions à gueule ouvertes sur les montants, alors que la capacité à se mouvoir est  indiquée par des d’ailes attachées à la Porte elle-même. Dans le Suparṇādhyāya, 25, 1, la Porte Active qui garde Soma, et qu’Indra nomme sa « magie » (māyā) est décrite par Charpentier de la façon suivante : « von eigen Willen leuchtend »[« Brillant de sa propre volonté »]. De même en Égypte ; pour le Pharaon « légitime », qui monte au ciel, volant comme un oiseau, « les portes du ciel s’ouvrent, se déverrouillant toutes seules, les gardiens ne font aucune opposition ». (A Moret, The Nile and Egyptian Civilization, p.180 (1927).

[50] L’une des formes de la Porte Active dans le folklore celtique (Voir. A C L Brown, Iwain, pp.54, 55, 66, 67, 77, 80, 81. 1901) est celle d’une roue tournoyante munie d’épées tranchantes.

[51] T G Foote, The Cherubim and the Ark, JAOS.XXV, p.283 (1904). Voir. Zacharie, IX, 14 où la flèche du Seigneur est un éclair et dans Ézéchiel, I, 13 : « du feu sortait des éclairs ». Voir. Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, II, 3, 6 (Brahma) yathāgny-arciḥ [] yathā sakṛd-vidyut, et dans Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, V, I, 2, 15 : vaidyutam, Kena Upaniṣad, 29 : yad etad vidyut dans Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 26, 8 : vidyuti puruṣaḥ […] tad brahma tad amṛtaṃ. vi-dyut : « éclair » qui correspond à vi-bhava [souveraineté] (έξουσία) et vi-rāj [régence], et illuminant simultanément toutes choses. L’ « éclair » est l’un des principaux symboles de Brahma.

[52] Philon, De Cherubim, pp.26-28. Philon identifie « l’épée flamboyante » au Soleil tournoyant et au Logos brûlant.

[53] De visione Dei, ch.I.

[54] Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 5, 6 ff, Philon, De Opificio Mundi, 71, De Specialibus Legibus, 37.

[55] Maitri Upaniṣad, VI, 22.

[56] Jean, X, 9 et XIV, 6. Sur la Porte et le Dieu de la Porte, voir. Ananda K. Coomaraswamy, Svayamātṛṇṇā : Janua Coeli, La Porte du Ciel, Paris, 2008. Dans le symbolisme architectural, la Porte du Soleil est représentée par l’oculus, l’œil du dôme, et dans le corps humain par la fontanelle bregmatique, voir. Le symbolisme du dôme, La Porte du Ciel, Paris, 2008. Ce qui se trouve au-dessous de cette porte ouverte est ouvert également et peut recevoir le flot de lumière venant d’au-dessus, ce qui est la signification de toute la structure « sans toit » (hypèthres).

[57] Philon, De Fuga et Inventione, 97 et 197-199.

[58] Philon, De Mutationem Nominum, 140 : « L’Arbre de sa Nature Éternelle » ; Irénée, « L’Arbre qui lui-même se nomme Gnose » (Adersus Haereses, 127), voir. Śatapatha Brāhmaṇa, XI, 2, Brahma « se tenant debout comme un grand arbre vert, les racines humides». Dans Maitri Upaniṣad, VI, 4, Śvetāsvatara Upaniṣad, III, 9 et VI, 1, et Agni comme Vanaspati, voir. Ṛgveda.

[59] Les Chérubins affrontés sont eux-mêmes les « couples d’opposés » (des pouvoirs passés et futurs, gouvernants et créatifs etc.,) desquels le mur est bâti, et constituant donc, l’ornement approprié du mur du Temple, comme dans Ézéchiel, XLI, 18. Chaque paire sans exception de Chérubins affrontés représente les montants s’entrechoquant de la Porte vivante par où mène la voie étroite – « étroite » car la ligne qui partage le passé du futur, le mal du bien et l’humide du sec est littéralement le fil d’un rasoir, et souvent nommé comme tel, Taittirīya Saṃhitā, II, 555, 6 « Le Sacrifice est tranchant comme le fil d’un rasoir », Kaṭha Upaniṣad, III, 14 « Le fil affûté d’un rasoir, difficile à parcourir », ou un pont de lumière, pas plus large qu’un cheveu (Voir. D L Coomaraswamy, Le pont périlleux du bonheur, La Porte du Ciel, Paris, 2008) ; Le Logos Tomeus et Synagogos [«divisant et réunissant »]  de Philon (De Fuga, 100), au centre duquel se trouve « l’Esprit le plus haut de la raison » de Nicolas de Cues, la « Vérité solaire » de Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 5, que le héros doit vaincre s’il veut entrer dans le monde qui est réellement, « mais pas logiquement ». Maintenant – « le maintenant sans durée » – est le moment voulu ; ainsi brahma-bhūti, littéralement theois [déification], est aussi le « crépuscule», c’est-à-dire l’intervalle intemporel qui sépare le jour et la nuit.

[60] Genèse, 28, 16-18 : « En vérité, Yahvé est en ce lieu […] Jacob prit la pierre […] et la dressa comme un pilier », Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 10, 9 : « Ils qualifièrent le Soleil de pilier soutenant le ciel ». Clément d’Alexandrie, Misc, I, 24, « Les anciens érigeaient des piliers et les vénéraient comme statues de la Déité ». Voir. A J Evans, Mycenaen Tree and Pillar Cul,. Londres.1901, A J Wensinck, Tree and Bird as Cosmological Symbols in Western Asia, Amsterdam.1921, Uno Holmberg, Finno-Ugaric and Siberian Mythology, Siberian, Ch.III, The Pillar of the World.

[61] Denys l’Aréopagite, Le Livre de la Hiérarchie Céleste, VII, Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, I, 108, 5. On peut établir un parallèle entre d’une part l’ « ardeur » et la « connaissance » et d’autre part le « rayonnement intérieur » [« glowing »] (tapas) et l’ « l’initiation » (dīkṣā), – il s’agit de part et d’autre de « feux » – que « les prophètes [Ṛṣiḥ], briguant le bien, eux qui découvrirent la Lumière (ṛṣayaḥ svar-vidaḥ), initiés (upaniṣeduḥ) au commencement » (Atharva Veda, XIX, 41, 1), et qui identifiés aux « Gandharvas gardiens de Soma, à jamais s’entrechoquant », sont représentés dans le rituel par les feux sacrificiels (Śatapatha Brāhmaṇa, III, 6, 2, 9). Comme les Séraphins et Chérubins, à qui ils  correspondent, les Gandharvas indiens sont ainsi distingués par leurs capacités à la fois érotique et intellectuelle et par leur fonction de gardien.

[62] De grad humiltatis, X, 35.

[63] Voir. Deutéronome, VIII, 15, Isaïe, XIV, 29 et XXX, 6. Pour Philon, le Serpent dressé par Moïse représente la « maîtrise de soi » l’opposé naturel du serpent de Plaisir et d’airain. (LA, II, 79, ff).

[64] Paradis, XXVIII, 94-105.

[65] Apulée, Metamorphoses, IV, 33, cf. V, 18.

[66] Samuel, 2, 6, Rois, 5, 7.

[67] Bhagavad Gītā, XIII, 6.

[68] Pañcaviṃṣa Brāhmana, XXI, 3, 1.

[69] Taittirīya Brāhmaṇa, III, 4, 7, 2.

[70] J Harrison, Prolegomena, pp.175, 631.

[71] Vase béotien au Louvre, Bull de Corr Hell, XXII, pl.V, 1898. J Harrison, Prolegomena, Fig.21. Voir. Roland Hampe, Frühe griechischer Sagenbilder, 56f et pls.36, 38.

[72] Les exemples Hittites dans E Kasmuth, Het, Kunst, pls.14, 15 et Moortgart, Bildwerk und Volkstum vorderasiens zur Hethiterzeit, fig.35.

[73] Van der Osten, Alisher Huyük, III, Fig.73, pl.21, 1937 « Des Sphinx ailés,  portant chacun un cidaris » Ann, Brit, Sch, Athens, XXXVII, pl.7.1940. (Hubbard Amphora, Cyprus Museum).

[74] Voir, en général, Rosher, Lexicon, s-v. Sphinx, actualisant les dérivés égyptiens.

[75] Philon identifie souvent ces deux derniers, Legum Allegoriae, A, I, 65, voir. E R Goodenought, By Light, Light, pp.22, 23. De ce point de vue on peut supposer que Philon (qui devait être familier avec les représentations syriennes des Chérubins comme des sphinx), s’il avait interprété l’iconographie païenne, aurait qualifié le sphinx comme un symbole de la Sophia.

 

[76] De Cherubim, 27, QE, II, 66-67, Dec, 6, 7, E R Goodenought, loc cit, p.31, « en lien d’amour » comme avec les cités. Protagoras, 332.c. et Timée, 32c. Euripide, Phéniciennes, 537, 8.

[77] Comme sur les murs du Temple de Salomon, Ézéchiel, XVI, 18, 19. Sur la représentation des Chérubins en tant que sphinx, voir. W F Albright, The Biblical Archeologist, I, p.2.1932, et E Conn Weiner, Die Judische Kunst, pp.40-41. 1921 : « Cherubim [] Sphingen [] Damonen-gestalten » et Abb, 20 : « Stilisierter Baum zwischen Cherubim » ou dans le texte « swei einander zugewandte Sphingen zu seiten eines Baumstammes saulenartiger Form ». Platon aurait assurément vu dans ces Chérubins-Sphinx les « gardiens terrifiants de Zeus » à qui Prométhée ne pût échapper. Protagoras, 321d, voir. Eschyle, Prométhée, 803, 804.

[78] H G May, The Sacred Tree on Palestine Painted Pottery, JAOS, 59, pp.251-259. 1939.

[79] E R Goodenought, loc cit, pp.22-23 : (« Philon identifie catégoriquement le Logos à Sophia »), voir. De Fuga, 51, 52 où « la fille de Dieu, Sophia même, est non seulement masculine, mais le père, semant et engendrant ». Pour la philosophie scolastique, le Christ peut être encore être qualifié d’ « art » de Dieu, puisque ce fut par Lui comme Logos que « toutes choses furent faites ».

[80]Legum Allegoriae, III, 52, voir. Genèse, III, 6. Irénée, Adv Haer, I, 27, « l’Arbre qui est lui-même aussi appelé Gnosis ». Brahma comme eka svattha [] eko’sya saṃbodhayitṛ, Maitri Upaniṣad, VI, 4.

[81] Darenberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, Fig. 6544. Qui est une représentation d’Euripide, Les Phéniciennes.

[82] Darenberg et Saglio, loc cit, Fig.6547.

[83] Voir Ananda K .Coomaraswamy, Le Rapt d’une Nagī, La Doctrine du Sacrifice, Paris, 1978.

[84] Euripide, Les Phéniciennes, 809. Voir. Philon, Quis Heres, 282, 283 « pour trouver un père dans l’éther ».

[85] Euripide, Frg.971 (dans Plutarque, Moralia, 416d, dans l’édition de la Loeb Library, Babbit fait l’erreur de rendre αιθήρ par « air »). La formulation est particulièrement intéressante car σβένυνμι (avec ou sans particule préfixée) est appliqué régulièrement au vent, au feu, à la passion et donc à l’Homme, dont la vie est allumée et éteinte comme une bougie, voir.Héraclite, Frg. LXXII, et, appliqué au feu de la vie, est l’équivalent exact du Sanskrit  udvā et nirvā ; le retour de l’esprit à sa source éthérée constitue son nirvāṇa, une extinction des feux de son existence dans la quintessence de l’« Éther, ce Feu sacré et cette flamme inextinguible (ασβέστος) », le Feu céleste dont le Soleil est une portion. (Conf, 156-157, avec des équivalents presque littéraux dans Maitri Upaniṣad, VI, 3, 5 et VII, 11).

[86] Ecclésiaste, III, 20-2 et XII, 7, peut-être les déclarations eschatologiques les plus significatives de tout l’Ancien Testament.

[87] Eschyle, Frg.65a, voir. Empédocle, Titan Zeus and Titan Aither, et Cicéron, De Natura Deorum, II, 66, Jupiter = Ether.

[88] Quis Heres, 282-283, Επάν, lié au sanskrit SPHUR- “briller”, voir. Maitri Upaniṣad, VI, 24. (Brahma comparé à une roue étincelante, dont les étincelles sont des êtres vivants).

[89] Legum Allegoriae, A, III, 161.

[90] Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, III, 2, 13, Chāndogya Upaniṣad, I, 9, 1 : ākāśaḥ parāyaṇam [l’Éther est le but suprême].

[91] Eschyle, Frg.129 (236) κώνα et Prométhée enchaîné, 803-804.

[92] « En prévoyant que les choses soient liées (δεθέντα) et suspendues, pour ainsi dire, par une chaîne (σειρά), et ne doivent pas être déliées » (De Migratione Abrahami, 167, 181) ; Bhagavad Gītā, VII, 7 : « Sur Moi ce tout est enfilé, tel sur un fil l’ensemble des perles ». Tripurā Rahasya. Jñāna Khanda, V, 122-123 : « Sans Lui (le Souffle précédant, prāna-pracāraḥ, gardien de la cité) les citoyens seraient tous dispersés et perdus, comme les perles d’un collier sans fil. Car Il m’associe à eux tous, et unifie la cité. Lui dont je suis le compagnon, est le préposé transcendant du fil (sūtra-dhāraḥ, ωευρο-σπάστης, marionnettiste, aussi régisseur, architecte) dans cette cité, qui Me relie ». Voir. Philon, De Fuga, 46, « Connais-toi toi-même et les parties de toi-même […] sache qui tire invisiblement les fils et anime les marionnettes ».

[93] Philon se représente le Logos comme « le glaive enflammé tournoyant » de la Genèse, III, 24 ; dans l’art il est représenté par le pilier au chapiteau ionique ou

par l’occupant d’un trône.

[94] E R Goodenought, loc cit, 33f, pp. 364-365.

 

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