Les mesures du Feu
(Essai publié dans Coomaraswamy, 2, Selected Papers, Metaphysics, pp.159-165. Ed. Roger Lipsey.)
« Le feu est le principe de toute vie » (Jacob Boehme, Signatura rerum, XIV.29)
Dans une thèse récente,[1] le Dr William C. Kirk a atteint son objectif premier, qui était de découvrir, dans la mesure du possible, ce qui avait été réellement dit par Héraclite sur le Feu. Nous ne proposons pas de reconsidérer cet article, qui est bien documenté et bien construit. C’est plutôt le propos restreint de l’érudition historique elle-même que nous souhaitons critiquer. Nous devons, en effet, savoir ce qui a été dit : mais à quoi serviront une telle connaissance pour nous, à moins que nous ne considérions le sens de ce qui a été dit et que nous ne puissions appliquer celui-ci à notre propre expérience ? Ici le Dr Kirk n’a pas grand-chose à dire de plus que ce qui est contenu dans les mots significatifs : « Héraclite est l’un des philosophes grecs qui a cherché à expliquer l’univers en termes d’une entité de base (…) Après son époque, bien sûr, le feu a perdu de son importance, et les hommes ont cessé de le regarder comme un principe[2] qui expliquerait tous les phénomènes ». C’est l’aveu que les hommes sont tombés au niveau de cet empirisme pour lequel Platon était si méprisant, et à celui de ces grecs que Plutarque ridiculisait, ils ne pouvaient plus distinguer Apollon d’Hélios, la réalité (τὁ ὄν) du phénomène, « donc leur perception sensorielle (αίσθήσις) a perverti leur pouvoir de discrimination (διάνοια) ».[3] Cependant, ce n’est que partiellement vrai que « l’importance du feu a diminué », et seuls quelques hommes ont abandonné la recherche d’un ‘‘principe un’’.
Le Dr Kirk voit qu’Héraclite a du avoir des précurseurs, mais se rend à peine compte qu’il n’est peut-être pas un philosophe au sens moderne, mais plutôt qu’il en est un en un sens plus ancien, selon lequel le véritable enseignant est celui qui comprend et transmet une doctrine antique immémoriale et d’une origine divine anonyme.[4] Il dit qu’Héraclite parle comme quelqu’un qui propose une vérité évidente et généralement acceptée, pas comme celui qui plaide pour une opinion personnelle. Ce qui reste d’Héraclite est, en effet, incontestablement « orthodoxe », c’est-à-dire conformément à la Philosophia Perennis (et Universalis), dont les enseignements sont toujours et partout les mêmes.
La conception d’un Feu transcendant et universel, dont nos feux ne sont que de pâles reflets, survit dans les mots ‘‘empyréen’’ et « éther », ce dernier mot dérive de αἴθω, pour ‘‘allumer’’ (Sanskrit, indh-) et ce n’est d’ailleurs pas sans intérêt que le ‘‘tiger burning bright’’ de Blake fait écho au αἴθωνες θῆρες des Grecs, qui faisaient référence au cheval, au lion et à l’aigle ; le Rigveda, II, 34, 5 parle de « mouvement brûlant » (indhanvan = αἴθον). Pour Eschylle, Ζεὑς έστιν αἰθήρ (Frag.65A, cf. Virgile, Georgiques, II, 325) ; dans l’Ancien Testament (Deutéronome, 4, 24) et pour saint Paul (Épître aux Hébreux, 12, 29), Noster Deus ignis (πῦρ) consumens est ; l’épiphanie de l’Esprit est comme des « langues de feu » (Les Actes des Apôtres, 3, 3-4).[5] Agni (ignis, Feu) est l’un des principaux, et peut-être le chef des noms de Dieu dans le Rigveda. Indra est ‘‘métaphysiquement Indha’’ (αἴθων), un ‘‘Allumeur’’, qui ‘‘allume’’ (inddha) les Souffles ou les Spirations (prāṇāḥ, Śatapatha Brāhmaṇas, VI, I, I, 2).[6] L’Oie solaire (haṃsa), « celui qui en voit une, voit le Tout », est un ‘‘Feu brillant’’ (tejas-endham, Maitri Upaniṣad, VI, 35), et dite ‘‘enflammée’’ (lelāyati, Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, IV, 3, 7), comme les langues d’Agni (lalāyamānāḥ dans la Muṇḍaka Upaniṣad, I, 2, 4). Le Bouddha, qui peut être considéré comme un type humanisé d’Agni ou Indrāgnī,[7] est « un maître de l’élément feu » (tejo-dhātum-kusalo, Vinaya Piṭaka, I, 25) qu’il peut assumer à volonté, et il est représenté iconographiquement non seulement comme un Arbre mais aussi comme un Pilier de Feu.[8] Maître Eckhart peut encore parler du « ciel immobile, appelé feu ou empyrée » et dire que le nectar (die züezekeit = ambrosia, amṛta, ‘‘miel’’, ‘‘ eau de la vie’’) est caché à tous ceux qui n’atteignent pas « cette intelligence céleste ardente ».[9]
Examinons à présent la doctrine indienne des ‘‘Mesures du Feu’’. J’utilise ici la majuscule et dans de nombreux contextes lorsqu’il s’agit de Dieu, et non pas des phénomènes naturels dans lesquels Il se manifeste Lui-même, et où il est mentionné.[10] Tout d’abord nous devons expliquer alors que, tandis que terme sanskrit agni est littéralement ignis, ‘‘feu’’, le mot tejas, que nous devrons citer à plusieurs reprises, n’est pas à proprement parlé le feu lui-même, mais la qualité la plus essentielle du ‘‘feu’’, que ce soit en tant que déité ou phénomène naturel. Tejas (racine TIJ-, pour être exact, cf. στίξω, στίγμα, di-stinguo, in-stig-o, bâton, piquet, point) est, autant que possible, ce que Jacob Boehme appelle « le tranchant de l’éclat du feu » (Les trois principes, XIV, 69). Dans le Rigveda, VI, 3, 5, Agni est censé aiguiser son tejas comme une pointe de fer. L’adjectif correspondant tigma qualifie communément śocis, ‘‘flamme’’, et Agni lui-même est tigma-śocis, ‘‘de flamme pointue’’. Le mot tejas est généralement et à juste titre, cependant, traduit par ‘‘feu’’[11] ou ‘‘énergie ardente’’, la qualité essentielle représentant l’essence, l’acte caractéristique de l’agent ; tout comme le ‘‘Souffle’’ (vāyu) de l’Esprit (ātman) n’est rien d’autre que l’Esprit lui-même en termes de son activité caractéristique. En même temps, il faut comprendre que ni agni ni tejas n’impliquent une chaleur comme distincte d’une lumière ; tejas, par exemple, n’est pas seulement ‘‘tranchant’’ mais aussi ‘‘brillant’’ comme l’éclair, d’où la corrélation « le feu et ce qui peut être illuminé » (tejaś ca vidyotayitavyaṃ ca, Praśna Upaniṣad, IV, 8,[12]). Dans le Frag.77, Héraclite lui-même substitue ϕάος à πῦρ du Frag.20, les verbes demeurent inchangés. Puisque nous en avons fait notre point de départ, et puisqu’il serait gênant de répéter ‘‘le tranchant de l’éclat du feu’’ de Boehme, nous allons adhérer au rendu habituel de tejas par ‘‘feu’’ ou ‘‘Feu’’.
Maintenant, « Du feu (tejas) qui est caché dans le Ciel,[13] il ne s’agit que d’une petite mesure (aṃśa-mātram), qui (brille) au milieu du Soleil, dans l’œil et dans le feu. Ce (Feu) est Brahma, Immortel.[14]…Ce n’est qu’une petite mesure (aṃśa-mātram) de ce Feu qui est l’ambroisie (amṛtam) au milieu du Soleil, dont les pousses en expansion (āpayaṇkurāḥ) sont le Soma et les Souffles (prāṇāḥ, Maitri Upaniṣad, VI, 35).[15] Et ainsi, en effet, tout comme les étincelles se dispersent dans toutes les directions à partir d’un feu ardent, de cet Esprit Prescient (prajñātman, le Soi ultime et solaire), les Souffles et autres substances se dispersent dans leurs stations (Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, II, I, 3 ; Kauṣītaki Upaniṣad, III, 3, IV, 20 ; Muṇḍaka Upaniṣad, II, I, I ; Maitri Upaniṣad, VI, 26, 3, avec quelques variantes négligeables), et c’est de ce point de vue que Brahma est comparé à une ‘‘roue de feu étincelante’’ (Maitri Upaniṣad, VI, 24). Maintenant « ces pouvoirs fonctionnels (indriyaṇi = prāṇāḥ) sont ceux de l’Esprit (ātmakāni), c’est l’Esprit (ātman) qui procède (en eux) et qui les contrôle » (Maitri Upaniṣad, VI, 31) ;[16] ce sont les rayons du soleil ou rênes (raśmayaḥ)[17] par lesquels le Seul Voyant et Penseur voit, entend, pense et mange en nous (Maitri Upaniṣad, II, 6, Bṛhadāranyaka Upaniṣad, III, 7, 23, Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 29, 30 etc.), étant par conséquent le « Seul Saṃsārin » (Brahma Sūtra Bhāṣya, I, I, 5). Ainsi ces pouvoirs actifs de parole, de vision, de pensée etc. « ne sont que les noms de Ses actes », des forces qu’il met en avant et absorbe à nouveau (Bṛhadāranyaka Upaniṣad, I, 4, 7, I, 5, 21, I, 6, 3, etc.). Dans leur fonctionnement en nous-mêmes, tous ces Souffles ou Vies agissent ensemble, de sorte que nous pouvons nous référer, voir, entendre et penser à un seul et même objet simultanément (Kauṣītaki Upaniṣad, III, 2, cf. Première Épître aux Corinthiens, 12, 14ff.).
Maintenant Lui, l’Esprit (ātman), Brahma, Prajāpati, l’Immortel, qui en nous assume les apparences (rūpāṇi) de la parole, de la vision, de l’esprit, etc. (celles-ci étant, comme nous l’avons vu, les noms de Ses actes, et non pas les ‘‘nôtres’’), est lui-même « de la substance du feu » (tejo-mayam, Bṛhadāranyaka Upaniṣad, II, 5, 1-15) ; il « se divise » (ātmanaṃ vibhajya) afin de vivifier ses enfants (Maitri Upaniṣad, II, 6), lui-même « indivisible dans les divisions » (Bhagavad Gītā, XVIII, 20).[18] Encore une fois, l’acte de ‘‘création’’, ou plutôt celui d’‘‘expression’’ (sṛṣṭiḥ), est généralement considéré comme une ‘‘détermination’’ ou une ‘‘mesure’’ (nirmāṇam),[19] le Mesureur qui est lui-même la mesure de tout ce qui demeure « non mesuré dans le mesuré » (Atharva Veda, X, 7, 39). Il en résulte que Ses divisions, les facultés susmentionnées (ou ‘‘intelligences’’ jñānāni, Kaṭha Upaniṣad, VI, 10 ; Maitri Upaniṣad, VI, 30 ; prājñā-mātrāḥ, Kauṣitaki Upaniṣad, III, 8; buddhīndriyāṇi, Maitri Upaniṣad, II, 6)[20] doivent être des « Mesures (mātrāḥ)[21] du Feu ». C’est, en fait, sous le nom ‘‘Feux’’ (agnayaḥ, Śatapatha Brāhmaṇa, X, 3, 3, 1ff), de « Feux des Souffles » (prāṇāgnayaḥ, Praśna Upaniṣad, IV, 3) et de « Mesures de Feu » (tejo-mātrāḥ, Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, IV, 4, 1, Praśna Upaniṣad, IV, 8) que ces hypostases actives de l’Esprit sont en fait désignées.
Nous avons donc montré que les premiers principes de la vie active sont des ‘‘Mesures de Feu’’, et qu’étant mortels en eux-mêmes, ils procèdent et retournent de nouveau au Souffle ardent immortel de la Présence Totale en nous. C’est justement cette doctrine indienne et universelle qu’Héraclite énonce dans le Frag.20 : « κόσμον τόνδε τὁν αύτὁν ἀπάντων οὔτε τις θεῶν οὔτε ἀνθρώπων ἐποίησεν, ἀλλ’ἦν ἀεἱ καἱ ἔστιν καἱ ἔσται πῦρ ἀείξωον, ἁπτόμενον μέτρα καἱ ἀποσβεννύμενον μέτρα ». « Ce Kosmos, l’identité de toutes choses, aucun des dieux ou des hommes n’a jamais changé, mais qui a toujours été, est et sera toujours le Feu éternel, dans des mesures qui s’allument et dans des mesures qui s’éteignent ».[22]
De nombreuses autres phrases d’Héraclite sont de la même manière des énoncés de doctrines à la fois indiennes et universelles.[23] Que « le Foudre (κεραυνός = vajra) gouverne toutes choses » (Frag.28), par exemple, énonce la doctrine de l’Axis Mundi.[24] En établissant des parallèles, il est loin de mon intention de suggérer que les philosophies d’Héraclite ou de Platon sont dérivées de sources indiennes ou d’autres sources orientales.[25] Aucune culture, aucun peuple, ou âge ne peut se revendiquer comme étant propriétaire de la Philosophia Perennis. Tout ce que j’ai essayé de montrer c’est que les axiomes de cette philosophie, quelle qu’en soit l’énoncé, peuvent souvent être expliqués et clarifiés ou accentués par une corrélation avec les textes parallèles d’autres traditions. Et finalement, je ne peux que dire d’Héraclite, avec Socrate, que « ce que je comprends de lui est excellent, et ce que je ne comprends pas (encore) est aussi excellent ».
[1] Fire in the Cosmological Speculations of Heracleitus. (Minneapolis. 1940).
[2] « Un principe » (…) « Ce Un par lequel, quand il est connu, toutes les choses sont connues » (Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, II, 4, 5)
[3] Plutarque, Morale, 393d, 400cd. Cf. Platon, Lois, 898. « Le corps d’Hélios est vu de tous, son âme par personne », et Atharva Veda, X, 8, 14, « Lui (le Soleil) que tous les hommes voient, aucun ne le connaît avec l’esprit ». ‘‘Apollon’’ est le ὁ νοητὁς ἥλιος de Philon. (Note de Victor Magnien, Les Mystères d’Éleusis, p.143. Paris.1929)
[4] Le Bouddha, par exemple, proclame qu’il « a suivi l’ancien chemin », (Saṃyutta-Nikāya, II, 106 et dit « Quiconque prétend que je prêche une doctrine élaborée par mes propres raisonnements et mon argumentation, sera rejeté » (Majjhima-Nikāya, I, 177) ; (« la Source d’une centaine de courants (bhūtānāṃ garbham) » Rigveda, III, 26, 9)
[5] Le lien des langues de ‘‘feu’’ et de l’‘‘élocution’’ avec les langues n’est pas fortuite, mais dépend de la doctrine selon laquelle le Feu (Agni) est le Principe de la Parole (Vāc) ; à laquelle elle est réduite lorsqu’elle est libérée de sa mortalité naturelle (Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, I, 3, 8 etc… pour la mortalité de tous les pouvoirs fonctionnels, cf. Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, IV, 19) ; Agni, comme le δαίμων de Platon, « ne se soucie que de la Vérité », étant satyavācaḥ (Rigveda, III, 26, 9 et VII, 2, 3). Cf. Śatapatha Brāhmaṇa, X, 3, 3,1, « Que devient celui qui connaît le Feu ? Il devient éloquent, la parole ne lui fait pas défaut ». Voir René Guénon, Le don des langues, Études Traditionnelles, XLIV (1939). (Les Ṛṣis (Sages) sont décrits comme des sacrificateurs et des chanteurs « nés à nouveau ici pour la garde des Vedas » (Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 45, 2)).
[6] (Pour Indra-Agni en tant que jumeaux voir Rigveda, VI, 59, 2, et X, 8, 7. Pour une description plus complète des Ṛṣis en tant que ‘‘Souffles’’, les Maruts en tant que ‘‘Tempêtes’’ voir Śatapatha Brāhmaṇa, VI, I, I, 6 et Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 45, 1-6 ; IV, 12, 6)
[7] Indrāgni, comme Mitrāvaruṇau est la mixa persona du Sacerdotum (Agni étant Brahma) et du Regnum (Indra, le kṣatra) in divinis. Ainsi, « Indra est Agni en tant que Suzerain Suprême », Sāyaṇa dans Rigveda, V, 3, 2, cf. V, 3, 1, aussi Aitareya Brāhmaṇa, III, 4 ; IV, 22, et Bṛhad Devatā, I, 68. Les noms sont donnés selon l’aspect sous lequel Dieu est considéré (Rigveda, V, 44, 6) ; (brahma sat kṣarām ucyate, « comme il paraît, il est appelé », Atharva Veda, X, 2, 23)
[8] Cf. Ananda K. Coomaraswamy, Elements of Buddhist Iconography. Pl.II. 1935, aussi L’Exode, 13, 21.
[9] Maître Eckhart, Ed. Pfeiffer, pp.214ff.
[10] La désignation habituelle des premières philosophies grecques et indiennes comme ‘‘naturalistes’’ est une trahison de la vérité. (‘‘Physique’’ en grec n’avait pas ce sens). Un ‘‘développement’’ philosophique du naturalisme à l’abstraction, coïncidant avec un développement esthétique de l’abstraction au naturalisme, aurait était bien étrange. C’est nous, pour qui « une connaissance qui n’est pas empirique n’a pas de sens », qui ne parvenons pas à distinguer le symbole naturel correct de sa référence, nous qui voyons le doigt qui pointe plutôt que la lune elle-même.
[11] Cf. J Ph Vogel, « Het Sanskrit Word Tejas (= Gloed, Vuur) in ‘‘De Beteekenis van Magische Kracht’’, Med, d, k, ak, v. Wetenschappen, afd. Letterkunde. Deel, 70. Serie B, n°4 (1939).
[12] « C’est comme le Souffle (prāṇā) qu’Agni brille » (dīpyate, Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, IV, 12, 6); « Je suis l’éclat dans ce qui est lumineux (tejas…vibhāva vasau) (…) la splendeur du splendide » (tejas tejasvīnām, Bhagavad Gītā, VII, 9, 10). (Agni est le tejas avec lequel ils ont tué Vṛtra (Śatapatha Brāhmaṇa, II, 5, 4, 3), Agni est le tejas du Sacrifice (Śatapatha Brāhmaṇa, V, 3, 5, 7-8) et l’immortel dans le mortel (Atharva Veda, XII, 2, 33)).
[13] C’est-à-dire, est ὑπερουράνιος (cf. Platon, Phèdre, 247c) ; au-delà du Ciel (uttaraṃ divaḥ, Atharva Veda, X, VII, 3; pareṇa divam, Aitareya Upaniṣad, I, 2; pare-ardhe, Rigveda, I, 164, 10) ; dans l’Empyrée comme distinct du céleste ou du Paradis de l’Olympe.
[14] L’Immortel ardent, (tejomayam) Brahma, l’Esprit (ātman) de la Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, II, 5, 1 ; [voir Ananda K. Coomaraswamy, Le baiser du Soleil, Études Traditionnelles, n° 253, 254. (1946).NdT].
[15] Les pouvoirs fonctionnels sont appelés Spirations, Vies, ou Souffles à partir de la Spiration centrale, la Vie ou le Souffle dont ils sont les participations et dont ils dépendent (Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, I, 5, 21, Chāndogya Upaniṣad, V, I, 15) ; et les ‘‘énergies d’Indra’’(indriyāṇi) en référence à Indra, identifié au Souffle central ; et par d’autres noms, par exemple, ‘‘Etres Elémentaires’’ (bhūthāni) en référence au ‘‘Grand Etre’’ (mahābhūtaḥ) dont leur être provient. L’Ego passible ou ‘‘Soi élémentaire’’ (bhūtātman, Maitri Upaniṣad, III, 2) est donc comme ‘‘hôte des êtres’’ (bhūtagaṇa, Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, III, 3), et, en fait, ‘‘l’hôte de Marut’’ (marudgaṇa), pour ‘‘les Maruts sont les Souffles’’ (Aitareya Brāhmaṇa, III, 16), comme ils sont aussi les ‘‘Feux’’ (agnayāḥ, Rigveda, III, 26, 4). Le vrai lien de ces Souffles ou Tempêtes (nos ‘‘passions orageuses’’) à leur Tête est celle des sujets d’un roi, loyaux jusqu’à la mort ; mais s’ils sont autorisés à se déchaîner à la poursuite de leurs objets naturels, se servant eux-mêmes et non pas leur roi, ‘‘nous’’ sommes distraits par ce corps de l’Ange déchu en nous. L’intégration du Soi est un moyen, une question d’orientation. C’est, en bref, la ‘‘psychologie indienne’’.
L’assimilation des Souffles aux pousses (Soma), est impliquée dans notre texte, elle est d’une grande importance pour l’exégèse du Sacrifice du Soma, mais ceci demande plus de place que nous n’en avons ici.
Les Commentateurs lisent apyayaṇkurāḥ et le modifie en apyaṇkurāḥ, c’est-à-dire api aṇkurāḥ. Afin d’éviter toute modification nous avons supposé une lecture par apyayaṇkurāḥ, c’est-à-dire āpyai-aṇkurāḥ, laquelle n’est pas impossible et donne un sens approprié ; cf. Śatapatha Brāhmaṇa, VII, 3, I, 45 [et Aitareya Āraṇyaka, I, 4, I., NdT].
[16] (« En moi je prends d’abord Agni » (Taittirīya Saṃhitā, V, 7, 9) ; « que les feux des foyers sacrées (ātmā) officient à nouveau ici même dans leurs stations respectives (yathāsthāma) » (Atharva Veda, VII, 67). Indriyāgnayaḥ sont les sens sacrifiés dans le feu de la modération, c’est-à-dire, teṣu parokṣaṃ juhoti, l’Agnihotra Interne individuel (Bhagavad Gītā , IV, 26, 27) ; « lorsque Celui qui a compris contrôle l’esprit et que le Souffle a mis les objets des sens à leur place » (Maitri Upaniṣad, VI, 19) ; aussi, « les feux (tejas) des sens s’usent (…) Seul est le char, la danse et le chant » (Kaṭha Upaniṣad, I, 26))
[17] La métaphore du char, commune à Platon et à nos sources indiennes, est ici en cause. Dans la Maitri Upaniṣad, II, 6, Prajāpati est le conducteur du véhicule corporel, contrôlant le destrier (les pouvoirs sensibles) par les ‘‘rayons’’ ou ‘‘rênes’’ (raśmayaḥ) qui s’étendent de sa place dans le cœur aux objets des perceptions sensorielles ; cf. Platon, Lois, 898c et Hermès Trismégiste, Lib, X, 22, καἱ τοῦ μέν θεοῦ καθάπερ άκτῖνες αἱ ένέργειαι ἡμῖν πάντα, et Lib, XVI, 7, εἰσί δἑ καἱ ἡνίαι (ἑαυτοῦ άκτῖνες).
[18] Cf. Plotin, Ennéades, IV, I, I.
[19] Cf. Coomaraswamy, « Nirmāna-kāya », 1938, citant Rigveda, III, 29, 11 etc. où Agni est « mesuré ».
[20] Les Souffles comme ‘‘Intelligences’’ sont les ‘‘dieux en vous’’ de Jaiminīya Upaniṣad Brāhmaṇa, I, 14, 1, 2 et les ‘‘anges’’ de la théologie Chrétienne ; leur Duc (netṛ) rex angelorum, devānāṃ rājā, Indra (Vāyu).
[21] Mātrā comme metron est étymologiquement ‘‘matière’’, non pas au sens de ‘‘ce qui est solide’’, mais au sens propre de ‘‘ce qui est quantitatif’’ et a une position dans le monde (loca, locus). Tout ce qui est ainsi dans le monde peut être nommé et perçu (nāma-rūpa) et est accessible à une science physique et statistique, alors que le non mesuré est du domaine propre de la métaphysique.
[22] ‘‘Ce Kosmos’’ étant évidemment le νοητὁς κόσμος = νοητός ἥλιος, le « monde de Brahma incréé » de Chāndogya Upaniṣad, 13, 1, le ‘‘tableau du monde’’ (« peint par l’Esprit sur la toile de l’Esprit », Śaṇkarācārya, Ātmanirūpaṇam, 95) ; le modèle du monde sensible. « Il se connaît seulement lui-même, comme ‘‘Je suis Brahma’’ ; il devient ainsi le Tout » (Bṛhadāraṇyaka Upaniṣad, I, 4, 10. « Sicut erat in principio, est nunc et semper erit« , car pour Brahma il n’y a ni passé ni futur mais seulement un éternel présent.
[23] De sorte que, comme le dit aussi Héraclite (Frag.77) ἄνθρωπος ὅκως ἐν ἐυϕρόνη ϕάος, ἅπτεται ἀποσβέννυται « L’homme, comme une lumière dans la nuit, est allumé et éteint ». (ἀπο) σβέννυμ doit être dé-spiré ; du vent, pour mourir ; du feu, pour sortir ; de la passion se calmer. Ce sont précisément les sens des termes Sanskrit nir-vā, Pāli; nibbāyati, (également être fini, être parfait). Le Samādhi des Souffles est leur nirvāṇa et leur τελευτή.
[24] Sanskrit. skambha, sthūna, yūpa etc. stauros chrétien, qutb islamique, etc.
[25] Par exemple, il ne me semble pas nécessaire de faire dériver la ‘‘théologie négative’’ de Plotin, à partir des sources indiennes, comme Émile Bréhier souhaite le faire dans La philosophie de Plotin, pp.107-133. (1929). Il est tout à fait exact qu’une théologie négative est pleinement développée dans les sources indiennes et que dans Maitri Upaniṣad, VI, 30 les deux viae affirmativa et negativa sont recommandées et doivent être suivies en leur séquence logique. Mais il serait beaucoup plus simple de penser à Plotin comme dépendant de sources platoniciennes, telles que Phèdre, 247, « La région au-dessus du ciel n’a jamais été dignement chantée par aucun poète terrestre, et ne le sera jamais (…) Car incolore, sans forme et intangible », et Lettres, VII, 341d, où Platon dit que le sujet de son étude la plus sérieuse (c’est-à-dire, la nature ultime de la déité) « n’admet pas du tout d’expression verbale, comme pour les autres études ».